
Le nouvel Hollywood peut se définir comme la réponse américaine à la Nouvelle Vague française. Après une période de basse fréquentation des salles de cinéma dès la fin des années 50, les années 70 donnent à l’industrie un nouveau souffle en revendiquant une opposition au classicisme. Alors que des films comme Bonnie & Clyde (Arthur Penn, 1967), Le Lauréat (Mike Nichols, 1967) ou Easy Rider (Dennis Hopper, 1969) sont considérés comme les œuvres fondatrices de ce mouvement, ceux de Jerry Schatzberg se retrouvent régulièrement – et injustement – relégués au second plan.
Un homme s’avance, en voulant enjamber quelques fils barbelés afin de rejoindre la route, il se casse la figure : la scène d’ouverture de L’Épouvantail (1973) donne le ton. Gene Hackman et Al Pacino interprètent deux personnages, somme toute, très communs. Le premier veut rejoindre Pittsburgh pour ouvrir son commerce de lavage de voitures, l’autre pour offrir un cadeau à son fils qu’il n’a pas vu naître. Pas de beau voyage épique pour les protagonistes de Jerry Schatzberg, les deux lascars se contentent de faire du stop et traverser des petites villes de l’Amérique rurale. Contre-pied de l’héroïsme : une jeunesse errante, aux aspirations anodines et, surtout, changeantes, marque le renouveau du film américain. La cohérence narrative s’efface derrière des personnages indécis, plus vrais que nature.
Dans le même esprit, le réalisateur prend du recul pour donner aux acteurs un terrain de jeu sans contraintes. Deux ans plus tôt, il avait révélé Al Pacino au reste du monde avec Panique à Needle Park (1971). L’acteur livre ici une performance tout aussi mémorable. Sa sensibilité unique se heurte à l’imposante force de Gene Hackman. Ces Valseuses (les deux films sortent la même année) à la sauce américaine rayonnent d’un charisme désinvolte. Les dialogues qui semblent improvisés sont couverts par les bruits de la rue, des voitures, du vent. Le monde réel s’engouffre à toute allure dans cette œuvre qui touche par sa rugosité.
Alors que l’imperfection formelle et l’hésitation narrative deviennent des figures de proues du nouvel Hollywood, Schatzberg ne peut s’empêcher de leur donner une certaine théâtralité. Le cinéaste entreprend une sublimation du quelconque. Un coin d’autoroute au crépuscule, une fontaine dans un parc grisonnant ou encore une gare à l’aube deviennent des paysages à la beauté fuyante mais épatante à qui sait les regarder. Cette esthétique épurée et légère se joint pourtant à un sens tragique du récit. À première vue d’une simplicité étonnante, l’histoire se revêt immédiatement d’un aspect fataliste. Le personnage qu’incarne Al Pacino avec nuance, similaire à celui qu’il interprétait dans Panique à Needle Park, combine à lui seul cette dualité importante. Il est le reflet d’une insouciance jeune et énergique qui dissimule un mal être profond.
C’est dans cette exploitation du tragi-comique, et avec l’aide de comédiens dévoués, que le cinéaste excelle. L’Épouvantail est, à ce titre, un film unique et résonnant. La Palme d’or qu’il remporte en 1974 ne peut, quant à elle, que renforcer l’idée que Jerry Schatzberg fût bel et bien un auteur indispensable à l’avénement du nouvel Hollywood.
L’Épouvantail / De Jerry Schatzberg / Avec Al Pacino, Gene Hackman / Etats-Unis / 1h52 / 1974.