
La rupture amoureuse ne peut être qu’à l’origine de sentiments intenses. Celle qui affecte Ondine (Paula Beer), au début du film, est ravageuse. Ce n’est pas une simple fin pour elle, c’est une trahison, et un abandon. Johannes (Jacob Matschenz) lui annonce qu’il la quitte. Mais l’histoire ne fait que commencer, et Ondine porte bien son prénom : selon la mythologie germanique, une ondine est une nymphe qui ne peut vivre parmi les hommes qu’à travers l’amour, et se retrouve contrainte de tuer son amant si jamais celui-ci la trahit.
Cette légende ancienne est transposée dans le Berlin contemporain, sans que la ville ne demeure qu’une toile de fond détachée de tout ce qui se joue au cœur des personnages. Au contraire, elle justifie l’histoire d’Ondine, cet être mythique venu de l’eau et déchiré sur Terre par ses découvertes successives de l’épreuve du sentiment amoureux. La principale trouvaille de Christian Petzold consiste à faire de sa protagoniste une spécialiste en urbanisme travaillant comme guide dans la capitale allemande. Régulièrement filmée en surplomb d’une immense maquette de Berlin, elle entretient avec la ville un rapport passionnant qui invoque son passé et son actualité. Il est ainsi rappelé que la cité fut construite sur des marécages, comme pour nous signaler l’existence certaine d’un en-dessous, d’une zone trouble mais réelle, d’où proviendrait l’héroïne. Nous y pénétrerons même lors d’une séquence sous-marine, où l’inscription d’un prénom sur un mur rend à celui qui la découvre toute l’émotion du souvenir de leur histoire.
L’amour est à la fois ce qui permet de renouer avec la légende et ce qui la fait dévier de son programme, et donc l’enrichit. Le premier homme trahit Ondine, mais la prophétie est retardée par sa rencontre avec Christoph (Franz Rogowski), un scaphandrier aimant et attentionné. Son histoire avec Ondine est teintée de mouvements intimes et infimes, où chacun tend à l’abandon avant d’être rattrapé par une étrange inquiétude. Le déploiement du motif de la fuite incarne bien ce sentiment, concordant à faire de la frontière du réel et du fantastique un espace poreux qui appelle à être outrepassé, à l’image de cet éclat surnaturel d’un aquarium lors de leur première rencontre.
Seulement, si la passion naissante est aussi puissante que l’explosion du bocal qui initie leur relation, la durée infinie de l’amour est un leurre. Cette conscience traverse le film et se trouve superbement portée par Paula Beer, qui irradie l’écran et donne au film toute son épaisseur. Quant à Franz Rogowski, que l’on avait déjà vu à l’affiche d’un film de Christian Petzold avec Paula Beer il y a deux ans, Transit (2018), il rappelle surtout la délicatesse et la bienveillance rares du soldat qu’il interprétait dans Une vie cachée de Terrence Malick (2019) – où son défaut de prononciation lui donnait déjà une fragilité jamais feinte. Tous les deux incarnent une certaine idée du romantisme, grâce à laquelle le film renoue avec la profondeur et le fatalisme des histoires anciennes.
Ondine / De Christian Petzold / Avec Paula Beer, Franz Rogowski, Maryam Zaree, Jacob Matschenz / Allemagne – France / 1h30 / Sortie le 23 septembre 2020.
Superbe film est effet, envoûtant.
J’aimeAimé par 1 personne