Fermer les yeux

Au cinéma le 2 août 2023

© Manolo Pavón

Auteur de trois superbes longs-métrages en cinquante ans, Victor Erice est de ces cinéastes dont la présence est aussi rare que précieuse. Alors que trente ans séparent Fermer les yeux de son dernier film en date, Le Songe de la Lumière, la crainte est de mise : Erice ne risque-t-il pas d’avoir perdu la main ou pire, de livrer une œuvre passéiste ? 

Du passé, il en est effectivement question ici. Plus que jamais, d’ailleurs. Dans sa première partie, Fermer les yeux progresse dans une atmosphère doucement mélancolique, qui n’est pas sans rappeler celle du Sud, sorti quarante ans auparavant. Miguel, protagoniste, n’est finalement pas si éloigné d’Augustin, tous deux pères meurtris par une disparition qu’ils préfèrent taire. Mais à la différence de son prédécesseur, Fermer les yeux quitte vite le rétroviseur pour regarder en avant.

Les vieux souvenirs se chantent (un vieil air de tango, une chanson de Rio Bravo) ou se regardent (les extraits du Regard de l’adieu, film dans le film) mais leur détournement – voire leur oubli pour un certain personnage – offre une perpétuelle reconstruction de ceux-ci. Même lorsqu’il se questionne sur le devenir de son propre art, Fermer les yeux ne cherche jamais, contrairement à ce que son titre pourrait indiquer, à ignorer les évolutions du cinéma contemporain et parvient à un équilibre miraculeux, entre passé et futur.

Déployant des plans d’une lenteur enivrante, avant qu’un lent fondu à noir ne vienne les engloutir, le rythme flâneur du film amorce une expérience du temps devenu trop rare aujourd’hui tandis que l’usage du numérique, accentuant la triste grisaille des espaces urbains, impose la maturité d’un cinéaste ayant parfaitement compris les techniques modernes. En se concluant là où L’esprit de la Ruche commençait, devant l’écran d’une salle de cinéma, Fermer les yeux réunit encore une fois deux temps opposés, ravive les miracles de Dreyer et place la dernière pierre d’un modeste édifice, aussi complexe que les affres de la mémoire.

Fermer les yeux / De Victor Erice / Avec Manolo Solo, José Coronado, Ana Torrent, Petra Martinez / Espagne, Argentine / 2h49 / Sortie le 2 août 2023.

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