Le rapport à l’autre est souvent l’occasion pour les personnages de Kore-eda de faire face à leurs échecs et de tenter de cerner ce qu’on dirait la vérité de ce qu’ils sont. Avant Les Bonnes étoiles, où le trajet de la camionnette accompagne une succession de révélations qui indéfiniment laissent place à une nouvelle incertitude, The Third Murder (2018) et La Vérité (2019) traitaient plus frontalement la question du rapport au vrai et ses thèmes parents, tels que le mensonge, les apparences, le doute, la croyance et le jugement. Alors qu’il est parfois abusivement réduit, sans doute par paresse, à sa portée socio-politique, le cinéma de Kore-eda se pare d’une dimension philosophique certaine, issue d’un regard sceptique sur le monde qui se réfléchit éminemment dans ce diptyque que forment ces deux films, a priori mineurs, et pourtant renversants par leur complexité.
Au commencement, il y a Alain, qui devient ensuite Anders.
Dans Le Feu follet, publié en 1931, Pierre Drieu la Rochelle raconte, ou sans doute invente, les quelques jours qui précèdent le suicide de son ami, Jacques Rigaut, qu’il renomme Alain. En 1963, Louis Malle s’empare de l’histoire et la met en scène dans un Versailles grisonnant. Puis, en 2011, c’est dans un Oslo estival que l’on retrouve Anders, héros de la réadaptation de Joachim Trier. Au cœur du Feu follet, il y a l’addiction et l’amour, l’absence de l’un renforçant le désir de l’autre. Ces pulsions et déceptions caractérisent le personnage pétri de mal-être. Ses résolutions suicidaires ont bien évidemment des retentissements universels et intemporels, mais leur traitement est loin d’être identique. Alain et Anders, Anders et Alain ; comment un même personnage traverse-t-il deux époques, deux pays, deux films ?
S’il est bien sûr reconnu comme l’éminent cinéaste du corps et de ce qui y grouille à l’intérieur, s’il est l’initiateur de ce que les commentateurs ont nommé le « body horror », ce sous genre de l’horreur qui se saisit du corps comme principal objet filmique, soumis à des transformations et de multiples transgressions, Cronenberg s’est toujours et tout autant penché sur les qualités de l’esprit, de la psyché et de l’impalpable. En témoigne l’empreinte de la psychanalyse sur ses récits, au point d’apparaître au grand jour comme jamais auparavant dans A Dangerous Method (2011), qui relate les balbutiements de cette science au début du XXème siècle. Ses films bâtissent également des univers mentaux gouvernés par une logique du fantasme, comme dans Le Festin nu (1991) où, fidèle à l’imaginaire chaotique et foisonnant de Burroughs, la réalité de Bill Lee se dissout dans un flux d’hallucinations provoqué par l’inoculation d’une poudre anti cafards. Un schéma narratif similaire se retrouve dans Vidéodrome (1983)et eXistenZ (1999), bien que l’objet causal de l’égarement psychique et perceptif des personnages y soit d’une toute autre nature.
22 février 2021, planète Terre. Dans une vidéo intitulée « Epilogue » postée sur sa chaîne Youtube, Daft Punk annonce, avec la classe et la sobriété qui le caractérisent, sa séparation. Après 28 ans passés, l’air de rien, au sommet de la musique électronique, les deux robots les plus célèbres de la pop ont tiré leur révérence. Et si, pour de nombreux fans, la nouvelle a fait l’effet d’un choc, il faut pourtant entrevoir ce court-métrage minimaliste sous un autre angle que celui de l’effet de surprise. Et ce parce qu’il n’est précisément pas un court-métrage.
Porter des collants verts moulants en conservant un semblant de dignité n’est pas donné à tout le monde. Errol Flynn atteint l’apogée de son succès lorsqu’il interprète le héros éponyme dans Les Aventures de Robin des bois en 1938. Sa carrière hollywoodienne n’avait pourtant démarré que quelques années plus tôt : en 1935 le jeune acteur australien joue un corps inerte dans The Case of the Curious Bride, réalisé par un certain Michael Curtiz.
Dans Fatale Jeremy Irons incarne Stephen Fleming, un politicien britannique aisé dont la vie professionnelle et familiale frôle la perfection. Cette sérénité est brusquement troublée lorsque Stephen entame une aventure avec la fiancée de son fils. Quelques années plus tard, l’acteur britannique reprendra un rôle similaire en incarnant Humbert Humbert, le célèbre protagoniste du roman Lolita.
Billy Wilder, originaire d’Allemagne, met souvent en scène un personnage américain dans un pays d’Europe. Le climat européen possède en effet la capacité de transformer ce personnage ou de lui permettre une ouverture d’esprit nouvelle. Dans La Valse de l’Empereur, Virgil Smith est un voyageur américain qui rencontre la Comtesse Johanna Augusta Franziska von Stoltzenberg-Stolzenberg en Autriche, alors que dans Avanti! c’est en Italie que Wendell Armbruster Jr. fait la connaissance de Pamela Piggott.Dans ce dernier sorti en 1972, le réalisateur propose un moment d’adaptation au personnage américain qui a souvent du mal à s’accoutumer aux moeurs européens. Ce choc culturel se retrouve dans la relation conflictuelle que les personnages possèdent que l’on retrouve aussi dans La Valse de l’Empereur, sorti auparavant en 1948. Si l’un des personnages est retissant, l’environnement joue un rôle primordial en tant que facteur de la création du couple. Qu’il s’agisse de l’île au milieu de la mer sur les côtes d’Italie ou de celle au milieu d’un lac en Autriche, ce contexte romantique est toujours en faveur de la relation naissante. Wilder propose également dans les deux cas une critique amusante de chaque pays, poussant des clichés connus de tous à leur extrême.
Un corps inerte flotte dans la piscine d’un manoir à Los Angeles – scène d’ouverture mythique d’un des plus grands chefs d’oeuvre de Billy Wilder. Boulevard du crépuscule sort en 1950, sa fin tragique nous est annoncée dès les premières minutes, le spectateur écoute un homme mort lui narrer son histoire. Cette histoire c’est celle de Joe Gillis, scénariste à Hollywood, qui rencontre Norma Desmond, ancienne star de cinéma, qui va lui demander de l’aide pour écrire le film qui marquera son grand retour à l’écran.Dans Fedora, c’est une jeune fille paniquée qui court vers un train, son nom, Fedora, est prononcé et la jeune femme se retourne une dernière fois avant de se jeter sous le train. Scène d’ouverture encore une fois annonciatrice et représentative de la notion de fatalisme dans le film noir, genre dont Wilder participe à la création. Dans ce film sorti en 1978, Barry Detweiler, un producteur, tente de retrouver Fedora, grande actrice de cinéma, vivant en réclusion, afin de la convaincre de faire son grand retour dans le film qu’il a écrit.
Au début des années 1930, Billy Wilder fuit Berlin alors qu’Hitler accède au pouvoir. Avant de s’exiler définitivement pour les Etats-Unis, il s’installe un moment à Paris. Journaliste et scénariste occasionnel jusque-là, il a le temps de réaliser son premier long-métrage, en 1934. Celui-ci apparaît comme une exception dans sa filmographie : Mauvaise Graine est le seul film que le cinéaste a co-réalisé (en l’occurrence avec le méconnu Alexander Esway), et surtout tourné en français. Si l’on on admet qu’il s’agit d’un film décevant au regard de ce qui viendra ensuite, le ton de ce premier long-métrage n’en est pas pour autant désagréable. Il commence par un panneau qui le place sous le signe de la légèreté : « Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Il faut croire que ce n’est pas exact. Henri Pasquier est très heureux. La seule chose qui lui manque, c’est un nouveau klaxon… » L’histoire s’annonce donc assez anecdotique. Henri Pasquier, un fils de bonne famille, rejoint une bande de voleurs d’automobiles après avoir été privé de la sienne par son père… Certains acteurs plongent dans la caricature, les scènes s’enchaînent parfois avec maladresse, le dénouement est convenu. Mais Danielle Darrieux, âgée de 17 ans, insuffle au film un charme réel en interprétant la soeur de l’un des larrons, dont s’éprend le personnage principal. Le film vaut moins pour les enjeux de son récit que pour le plaisir cinéphile de déceler les premières aspirations du génial auteur qu’est Billy Wilder. Avec le peu de moyens dont il dispose (voir l’interminable séquence de la charrette), il parvient à tirer son épingle du jeu à travers quelques séquences de vitesse dans les rues du Paris. On sent alors un certain désir d’ivresse joyeuse…