Daft Punk, la fin d’un voyage entre musique et cinéma

Analyse

Daft Punk a fait des adieux très cinématographiques. ©Daft Arts

22 février 2021, planète Terre. Dans une vidéo intitulée « Epilogue » postée sur sa chaîne Youtube, Daft Punk annonce, avec la classe et la sobriété qui le caractérisent, sa séparation. Après 28 ans passés, l’air de rien, au sommet de la musique électronique, les deux robots les plus célèbres de la pop ont tiré leur révérence. Et si, pour de nombreux fans, la nouvelle a fait l’effet d’un choc, il faut pourtant entrevoir ce court-métrage minimaliste sous un autre angle que celui de l’effet de surprise. Et ce parce qu’il n’est précisément pas un court-métrage.

Les images qui forment cet épilogue ne datent en effet pas d’hier. Il s’agit de la conclusion de Daft Punk’s Electroma, seul et unique long-métrage signé Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. Sorti en 2007, le film raconte l’histoire de deux robots en quête de sens et d’humanité dans un monde intégralement peuplé d’êtres synthétiques. Une démarche expérimentale et contemplative, conjointe à leur deuxième et dernière tournée mondiale. Si la fin du film apparaissait, à l’époque, comme simplement mélancolique (perdus dans le désert, les deux héros choisissent l’autodestruction), le climax prend aujourd’hui l’allure d’un adieu déchirant. Que Daft Punk choisisse le cinéma et non la musique pour signer la fin de son existence, cela pourrait surprendre, mais ce serait ignorer les nombreux liens que le groupe a toujours entretenu avec le Septième Art.

En effet, c’est bien le cinéma qui a donné naissance au groupe, ou plus précisément, à leur imagerie mondialement reconnue. En choisissant de créer leurs alter-egos robotiques, les deux Français marchent sur les traces de Winslow, le héros tragique de Phantom of The Paradise (1974), opéra-rock signé Brian De Palma. Un visage défiguré dissimulé par un casque métallique, une voix transformée par les expérimentations sonores du démiurge Swan, Winslow n’est plus qu’un spectre, condamné à vivre caché et dont la musique constitue un dernier lien avec le commun des mortels. Fabriqués outre-Atlantique par les mêmes artisans qui réaliseront plus tard les costumes des Avengers, les mythiques tenues du groupe ne sont pas juste là pour parfaire leur représentation : elles se substituent à leurs créateurs et leur offre, via l’anonymat, une liberté de mouvement et de création hors du commun.

En effectuant la transition de l’Homme vers la Machine, de l’Organique vers le Digital (tel les pionniers Kraftwerk et leur Man Machine, vingt ans plus tôt), le duo semble suivre le même chemin que le cinéma mondial à la même période. Après la décennie du « Bug de l’An 2000 » et sa vision angoissée des nouvelles technologies (Matrix en est un point culminant), le numérique prend un essor décomplexé à l’aube du XXIe siècle. Une révolution picturale que Daft Punk va peu à peu incarner, en parallèle du grand écran (cf. la pyramide de LEDs sur la tournée Alive 2007, alors prouesse technologique).

Cet extrait de leur clip d’adieu est tiré du film Daft Punk’s Electroma. ©Daft Arts

Si le cinéma a grandement influencé le groupe, lui-même l’aura sans conteste marqué de son empreinte. Dès la sortie de leur premier album, « Les Daft » se payent les services de Spike Jonze et Michel Gondry, spécialistes du vidéoclip et futurs fers de lance d’un cinéma indépendant déjanté et novateur. Leur deuxième opus, Discovery, sorti en 2001, n’a pas seulement révolutionné le paysage de la French Touch. C’est aussi la bande-originale d’Interstella 5555 : The Story of the Secret Star System, un film d’animation japonais produit par la Toei et designé par Leiji Matsumoto, père du cultissime Albator. Dénué de dialogues, rempli de références pop-culturelles en tous genres (on y trouve des allusions à 2001 : L’Odyssée de l’Espace, Emerson, Lake & Palmer et même Coca-Cola), le film brille par sa direction artistique et fait de l’album le squelette véritable de sa narration. Une expérience prolongée en 2010 avec la bande-originale électro-symphonique de Tron : L’Héritage. Rien de moins surprenant au vu des multiples passerelles qui connectent l’esthétique du film et l’imaginaire du duo parisien (révolution technologique, symbiose de l’Homme et du Numérique).

Auréolé d’une Caméra d’Or au Festival de Cannes, Electroma constitue le point d’orgue de l’expérience filmique du groupe. Le film métaphorise leur situation au sein de l’industrie musicale et la pression du star-system. Les deux artistes refusent la moindre concession, fuient le conformisme comme la peste et n’écoutent que leur instinct, quittent à friser l’arrogance et l’intransigeance. Tout comme Interstella, le film est intégralement muet et accouche d’un concentré d’images purement sensorielles, jouant sur un décalage lynchéen et sur la dilatation du temps (directement reprise du Gerry du Gus Van Sant, auquel le film empreinte aussi l’infinité des grands espaces américains). La conclusion de ce film-concept voit les deux robots échouer à trouver ce qu’ils cherchaient et les suit jusqu’à leur destruction volontaire. Une désillusion que l’album Human After All portait aussi en son cœur et qui semble être celle d’un groupe en crise. Malgré son titre, l’album apparaît comme le plus radical de leur discographie et sa répétitivité industrielle avait décontenancé le public.

S’il faut toutefois passer outre un certain nombrilisme et quelques égarements (le film ne réussit pas toujours à créer la dimension hypnotique qu’il recherche), Electroma parvient néanmoins à toucher en perçant à jour la dimension la plus sensible du tandem. Accompagné de « Touch », l’un de leurs derniers tubes où l’on entend chanter Paul Williams (a.k.a. Swan dans Phantom of the Paradise, la boucle est bouclée), l’épilogue que constitue aujourd’hui le climax du film prouve que Daft Punk avait, sans l’ombre d’un doute, prophétisé sa fin. Une intention qui traduit l’ampleur d’un projet mêlant musique et cinéma, obsession maniaque du contrôle et spectacle vivant, pour accoucher d’une fresque protéiforme qui dépasse de loin le seul cadre des pistes de danse. Certains auraient même l’audace de qualifier le projet Daft Punk « d’œuvre totale », et peut-être n’auraient-ils pas tout à fait tort. Il faudra sûrement du temps avant de pleinement mesurer le vide laissé par leur dissolution.

Une réflexion sur « Daft Punk, la fin d’un voyage entre musique et cinéma »

  1. Il y a du génie artistique et marketing dans cette conclusion. Elle n’est pas sans rappeler celle de Bowie qui mettait en scène sa fin de vie dans les ultimes extraits de Black Star. Daft Punk se dissout donc dans l’infini, pour mieux rejaillir sans doute ici ou là sous d’autres formes diffuses (tel le Phoenix, pour une ultime référence au Phantom of the Paradise). Car dans l’univers, jamais le son ne finit sa course.

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