
Il fallait bien une rencontre, entre les réalisateurs Paul Saintillan et Jeanne Aslan, pour narrer celle de Fifi (Céleste Brunnquell) et Stéphane (Quentin Dolmaire). En résulte un film au titre trompeur, et même erroné. La grâce de Fifi, couronnée par le grand prix du festival de San Sebastian, est tapie dans la relation trouble entre les deux protagonistes que tout rapproche, parce que tout les oppose.
L’introduction du film s’avère la partie la moins convaincante car centrée sur Fifi, coincée dans un HLM nancéen trop petit pour sa famille au bord de l’implosion. Le portrait de ce microcosme turbulent effleure le misérabilisme : le beau-père (François Négret) boit, la mère (Chloé Mons) les ignore, la grande sœur (Megan Northam) peine à élever son bébé, le petit-frère est hyperactif et violent… Leur animosité se corrèle à l’architecture claustrophobique de l’appartement, tout en pièces étroites qui s’emboîtent péniblement les unes aux autres. Comme la protagoniste, on débute sans direction ni objectif, et déjà l’on craint une représentation facile et factice de classes sociales démunies et donc agressives.
Alors que l’été commence, Fifi parvient à dérober les clés de Jade (Lily Aubry), son amie mieux nantie qui se prépare à partir en vacances avec ses parents. Elle entend bien s’installer dans la maison bourgeoise pour le reste des vacances mais le frère aîné de Jade, Stéphane, débarque de Paris pour se reposer et faire le point sur sa vie déréglée. Le dispositif narratif suggère le chemin du drame social doublé d’un thriller, en écho à Parasite de Bong Joon-ho… Cependant, Stéphane accepte que Fifi reste chez lui, fasciné par cette adolescente trop autonome qui sème des cannettes de bière vides dans sa maison.
Au-delà d’une différence de classes, tout sépare Fifi et Stéphane : genre, âge, langage, ambitions. Pourtant leur relation se construit en douceur et subtilité, sans jamais céder aux sirènes faciles du mélodrame ou du feel-good. Le récit, centré exclusivement sur les deux personnages cohabitant dans cette maison trop grande, s’apparente au registre du conte et vise l’épure des émotions et des vulnérabilités. Sincères, les sentiments des personnages n’en sont pas moins troubles. Les positions de Fifi et de Stéphane ne sont jamais fixes, à la fois entre un maître et son élève, grand frère et petite sœur, grande sœur et petit frère, collègues, amis et —malheureusement—amants. Cette rencontre devient plus intense encore en tant qu’elle est fugitive, possible le temps d’un été, dans une maison qui n’est pas la leur. Alors que la séparation approche et que leurs insécurités mettent à mal leur relation, l’élégance et la pureté de ces deux personnages n’en jaillissent que de plus belle et font de Fifi une pépite à ne pas manquer.
Fifi / de Jeanne Aslan et Paul Saintillan / avec Céleste Brunnquell, Quentin Dolmaire, Chloe Mons, Ilan Schermann / France / 1 h 48 / Sortie le 14 juin 2023