Il Boemo

Au cinéma le 21 juin 2023

© Nour Films

C’est par une transaction que s’ouvre Il Boemo. Un misérable billet, glissé vers ce qu’il reste du célèbre Josef Myslivecek, compositeur adulé quelques années plus tôt, désormais aux abois, déchu, rongé par ses balafres syphilitiques qui l’on reconduit hors du « monde », dans l’ombre, sans le sou. Contre les affres du réel, et surtout de la bonne société viciée, hypocrite et matérialiste, que peut l’artiste et son amour de la beauté ? Hélas, pas davantage que ce qu’implique la condition d’un jeune métayer de Bohême en prises avec les élites d’une Venise décadente.

Sur le schéma topique largement rebattu du récit de formation, de l’ascension et de la chute, Il Boemo retrace la destinée tragique du compositeur naguère admiré avant qu’il ne fût enseveli par l’arbitraire postérité. Une disparition dans la mémoire européenne que le cinéma, grâce à Petr Vaclav, vient salutairement combler. Un premier argument en faveur de ce biopic dont l’intérêt repose ailleurs – ce qui est trop rare pour manquer d’être souligné – que sur la renommée déjà acquise de son protagoniste. Autre aspect qui préserve Il Boemo des écueils du genre, en dépit de sa narration chronologique légèrement lénifiante : sa représentation sans emphase épique, mythifiante, de l’artiste maudit.

Nul génie inspiré, extraordinaire ou incompris, seulement un musicien ambitieux et acharné, accroché à son rêve de gloire dans un monde étranger, celui de l’Italie et surtout de l’aristocratie. Le personnage, assez ordinaire, tire sa singularité de ce que son talent ne paraît plus inné mais obtenu, acquis, mérité, sans que toutefois cette idée ne s’affirme comme telle. Ici transparaît la remarquable sagacité de l’auteur, qui l’air de rien dévoile les véritables rouages de l’ascension fulgurante de cet homme nouveau semblant défier les déterminismes sociaux. Et c’est du hasard que cette réussite advient, au cours d’une soirée masquée qui mène le jeune artiste, alors pris pour un autre, dans l’appartement d’une noble libertine.

Aux antipodes d’un Amadeus aux flamboyances lyriques, qui exalte la nature exceptionnelle de l’individu, Petr Vaclav esquisse le portrait réaliste d’un artiste brillant dont les vicissitudes procèdent toujours de causes fortuites, extérieures, réfléchissant ainsi la condition fragile de l’artiste soumise aux modes et aux embûches socio-économiques. S’entrevoit alors la dimension socio-historique d’un biopic qui occasionne le tableau des mœurs débridées d’une société aristocratique de fin de siècle, d’une noblesse en rupture complète avec les réalités, – le film occulte sciemment l’existence du peuple – qui ignore la valeur du beau autant qu’elle méprise les créateurs. Et bien sûr, les femmes.

Sœurs du personnage par leurs souffrances et leur solitude, vouées à réprimer leurs aspirations comme leurs sentiments, elles apparaissent victimes elles-aussi d’un système oppressif qui asphyxie leur être individuel et les valeurs du cœur. Dans sa musique, qui nimbe le film en majesté, Myslivecek y remédie. Il confère la primauté au cœur, aux sentiments vrais, inaugurant avec vingt ans d’avance l’essoufflement de la rigueur classique et de la profusion baroque pour laisser place aux transports de l’âge romantique. Une révolution artistique et culturelle dont Il Boemo, avec subtilité, raconte in fine les prémices.

Il Boemo / de Petr Vaclav / Avec Vojtěch Dyk, Barbara Ronchi, Elena Radonicich / République tchèque, Italie, Slovaquie / 2h20 / Sortie le 21 juin 2023.

Une réflexion sur « Il Boemo »

  1. Il y a une chose, Monsieur, que vous ne dites pas de ce film remarquablement construit, avec des musiques à damner un saint: il est imprégné des Mémoires de Giacomo Casanova et les réélabore de façon élégante et créative.
    Un film à revoir, c’est assez rare pour qu’on le mentionne.

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