Limbo

Au cinéma le 12 juillet 2023

© Kinovista

Limbo est de ces œuvres qui sortent déjà auréolées d’une réputation admirable. Primé dans de nombreux festivals (Grand Prix au Reims Polar 2023), le film a été couronné aux Hong Kong Film Awards par le prix de la meilleure actrice, du meilleur scénario et de la meilleure cinématographie. Son réalisateur Soi Cheang —dont il s’agit du douzième long-métrage— dirige un casting de stars dont le reconnu Ka Tung Lam, déjà à l’œuvre dans les polars de Johnnie To. Dans ces conditions, la qualité n’est plus garantie, mais obligatoire. Que s’est-il passé ?

Cham Lau (Ka Tung Lam) et Will Ren (Mason Lee) forment un duo d’inspecteurs hétérogène, autant séparés par l’âge, le tempérament et le respect relatif du réglement. Ils doivent joindre leur force lorsque plusieurs membres amputés sont trouvés au quatre coins de la ville, jetés dans les ordures. La traque d’un possible tueur en série vivant dans les bas-fonds n’est possible qu’avec l’aide accidentelle de Wong To (Yase Liu), une jeune criminelle à laquelle Cham Lau voue une haine meurtrière.

Limbo nous peint un Hong-Kong apocalyptique, à mi-chemin entre le conte horrifique et la dépravation la plus réaliste. Les habitants pataugent dans les déchets et sont souvent filmés dans une plongée extrême, les représentant comme des insectes balayés par des forces supérieures. Le noir et blanc cite Sin City et bâtit un espace fantastique qui assume son artificialité, ses figures archétypales du polar et son ton homérique. Le décorateur parvient à dévoiler des facettes très différentes de la ville tout en maintenant une cohérence salutaire. Au milieu de la nuit comme sous un soleil brûlant, dans les rues désertes ou le commissariat bondé, l’œuvre érige un purgatoire aussi repoussant que fascinant.

Les problèmes surviennent lorsque les personnages commencent à s’exprimer et à agir. L’intrigue policière, cousue de fils blancs, emprunte trop à Se7en et tous les autres polars du genre pour se constituer une identité propre. Le réalisateur cherche à construire une tragédie sans aucun sens de mesure ni d’originalité. À trop appuyer les défauts et les névroses de ses personnages, il les rend inhumains. L’écriture immature enchaîne les clichés pour mieux les tremper dans un ridicule absolu, dont le point d’orgue est le flash-back sur le traumatisme d’un protagoniste filmé avec un ralenti qui s’éternise. L’échec est aussi dû à un mauvais choix de narrateur : les deux inspecteurs, aussi incompétents que monotones, sont souvent à la périphérie des évènements, dans la réaction, ballottés par les rebondissements qui sont bien trop souvent des scènes d’actions interminables et peu crédibles. Le personnage de Wong To apparait comme la juste protagoniste de l’histoire, celle qui est au centre de tout et qui souffre le plus.

De là découle le défaut cardinal de l’œuvre, incapable de représenter le tourment de ses personnages autrement que par des sévices physiques. Ce constat en devient plus alarmant lorsqu’on découvre que la protagoniste est constamment à la merci de tous les autres personnages masculins. Le récit de rédemption que s’imagine le scénariste n’est qu’un vain prétexte pour faire subir à Wong To les plus effroyables humiliations et tortures sans que jamais la mise en scène ne fasse preuve d’inventivité ou de subtilité. Facilité scénaristique oblige, Wong To est assez malchanceuse pour croiser les pires individus au pire moment mais assez débrouillarde pour s’en sortir d’un cheveu… et pour mieux tomber dans les bras d’un autre monstre plus sadique. La performance irréprochable de l’actrice achève de faire de Limbo un snuff film dérangeant dont on sort sonné, incapable de comprendre les intentions d’une œuvre dont le mauvais goût n’a d’égal que son ultraviolence complaisante, frôlant la misogynie.

Limbo / de Soi Cheang / avec Yase Liu, Ka Tung Lam, Mason Lee, Hiroyuki Ikeuchi / Hong-Kong / 1 h 58 / sortie le 12 juillet 2023

Une réflexion sur « Limbo »

  1. Ne serait-ce pas un film sur la rage qui consume ces êtres, dans un monde de douleur, au cœur d’un de ces pandemonium modernes qui engloutit toute humanité ?
    Pour moi, l’un des films les plus forts vus cette année.

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