
Dans les galeries souterraines de Londres, Ethan Hunt est pris à partie par l’Entité. Elle se présente à lui sous la forme d’un gigantesque caisson high-tech qu’il ouvre d’un simple effleurement de la main. L’équipe de l’IMF regarde interdite leur leader s’installer dans ce sarcophage d’acier et recouvrir son visage de l’étrange masque qu’il contient. À cet instant, le piège se referme et l’agent se retrouve pieds et poings liés, à la merci de cette intelligence artificielle omnisciente, qui déverse dans son subconscient un flux électrique d’images représentant l’apocalypse qu’elle prépare. Soumis à ces terribles visions, pareil au traitement Ludovico enduré par le héros d’Orange mécanique, Hunt perd progressivement pied avec le réel avant d’être libéré et de s’écrier : « est-ce que c’est la réalité ? »
Cet homme, enfermé dans une boite noire, confronté à des illusions plus vraies que nature, c’est nous. Toute l’essence de la saga Mission Impossible est encapsulée dans cette courte scène : ritualisation du regard dans un temple sacré, sidération face aux images de l’impensable et confusion du réel et de la fiction, de l’acteur et son avatar. Un programme que Tom Cruise, infatigable acrobate de cinéma, s’évertue à répéter encore et encore, en dépit de l’âge et des bouleversements qui traversent l’industrie hollywoodienne. Comme son alter-ego filmique, l’acteur se sent investi d’une mission qui consiste à défendre envers et contre tout un art qui se meurt : un cinéma de divertissement populaire, artisanal et sincère, à rebours des productions ironiques immédiatement oubliables de Marvel et consorts.
Acteur-producteur démiurge enfermé dans sa tour d’ivoire, Cruise a bâti cette franchise jusqu’à en faire un monument à sa propre gloire. Cette mégalomanie est à la fois sa plus grande force, mais aussi sa limite : ce huitième volet s’ouvre sur le visage du comédien qui plus que jamais apparaît sans-âge, bouffi, figé par le botox et les retouches numériques. Dorian Gray de celluloïd qui refuse de raccrocher, la star élève dans cet opus son personnage au rang de mythe, et la première heure de Final Reckoning est un exercice parfois pénible de raccommodage. Christopher McQuarrie use et abuse des flashbacks pour relier tant bien que mal l’intrigue de son film à celle des sept autres précédents, fait revenir des personnages ancestraux, démêle des nœuds qu’on avait oubliés, et le résultat a ça et là des airs de best-of indigeste. Cet aspect conclusif de ce qui semble être le dernier épisode de la saga (?) est recouvert d’une épaisse couche de moraline philosophique, d’un premier degré qui jure avec le plaisir cartoonesque et pulp qui fait son sel.
Là où le film remporte son pari, c’est sur son versant inquiet qui s’incarne dans le masochisme de l’acteur : Tom Cruise refuse de vieillir et, pourtant, n’a de cesse de fantasmer sa propre mort. Offrant une fois de plus son corps en sacrifice au cinéma, il ne semble intéressé que par les supplices qu’il pourrait lui infliger. Le conseil qu’il donne à sa coéquipière Grace alors qu’ils s’apprêtent tous deux à être torturés vaut aussi bien pour lui-même : « dis-toi que ça n’est que de la douleur. » Tout au long du métrage, le corps de Hunt, souvent nu ou presque, est révélé dans toute sa fragilité, malmené comme une poupée de chiffon : jeté dans une mer déchainée, enfermé sous la glace polaire, brinquebalé dans les airs, trainé dans la poussière. Notre plaisir vient de la tension entre ces acmés physiques et leur anticipation, ménagée par de longues scènes de dialogues détaillant le plan de ce héros increvable, qui jouit déjà – comme nous – de la souffrance qui l’attend.
C’est dans ces séquences d’action monumentales conçues comme des blocs autonomes que se dévoilent le soin et l’artisanat derrière la mise en scène de McQuarrie et son producteur. Ainsi de la scène de plongée, hallucinant morceau de bravoure muet d’un quart d’heure, qui voit Ethan Hunt s’enfoncer dans les ténèbres pour atteindre un sous-marin échoué au fond de l’océan. Équipé d’un masque lumineux et grossissant, le visage tourmenté du personnage est pareil à une tache de lumière dans l’obscurité, et cristallise toute notre attention. La montée en tension se fait à la faveur d’un montage alterné (LA figure de style de la saga) entre l’intérieur et l’extérieur du submersible et trouve sa décharge dans une inattendue percée poétique, lyrique, encore jamais vue dans Mission Impossible, et véritable vision d’un éden post mortem.
Film hanté par l’idée de sa propre fin, Mission Impossible – The Final Reckoning est une réussite en demi-teinte, grevé par un trop grand esprit de sérieux. Se retournant une dernière fois sur sa longue histoire, Hunt joue la montre et donne au récit le goût des adieux qui s’éternisent un peu trop et qu’on rechigne à faire. Un instant suspendu qui trouve une traduction littérale dans une tout dernière scène, muette à nouveau, dans laquelle les membres de son équipe se retrouvent en anonymes au milieu d’une foule. À distance les uns des autres, ils échangent de longs regards traversés de mille émotions : la reconnaissance, la nostalgie, le regret et le soulagement. On entendrait presque Tom Cruise verser une larme derrière son combo, avant de dire pour la dernière fois « coupez. »
Mission : Impossible – The Final Reckoning / de Christopher McQuarrie / Avec Tom Cruise, Hayley Atwell, Simon Pegg / 2h49 / U. S. A. / Au cinéma le 21 mai 2025
Bravo, excellente critique pointant les forces et les faiblesses de cet ultime opus de cette saga passionnante.
Je retiens avant tout l’aspect sépulcral qui domine cet épisode qui convoque des figures tutélaires majeures. Brian de Palma fait partie des fantômes qui hantent ce « Final Reckoning », et pas très loin derrière lui Stanley Kubrick. On peut aussi y voir l’ombre du jugement dernier selon James Cameron et les horloges de Christopher Nolan.
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