État limite

Disponible sur ARTE tv

© Les Alchimistes

Dans le service de psychiatrie de l’hôpital Beaujon, il n’y a plus qu’un seul psychiatre. Le bateau coule, mais le Dr Jamal Abdel Kader ne quitte pas le navire. Malgré des conditions de travail qui se dégradent de jour en jour, il remplit sa mission avec une déontologie héroïque au vu du contexte critique. Il lutte contre la cadence impossible qu’on lui impose, s’efforçant de prendre le temps d’écouter pour mieux soigner.

Empruntée au lexique psychiatrique, l’expression d’« état limite » désigne plusieurs troubles de la personnalité. Par son titre, le film pose un diagnostic qui décrit à la fois la situation des patients de Jamal, l’effondrement qui guette la psychiatrie en France et le service public en général. État limite tire la sonnette d’alarme, et ce, dès l’ouverture. Sur une adaptation électro du prélude n°4 de Chopin, on suit les infirmières et les aides-soignants du service de psychiatrie dans leurs déplacements pressés. D’un couloir à l’autre, d’une chambre à l’autre, on constate le manque de personnel et de moyens. Omniprésente, la tension est accentuée par la distorsion du morceau de Chopin. Jouant sur des dissonances, le compositeur Gael Rakotondrabe traduit avec justesse l’enrayement de la machine – pourtant infiniment précieuse – que constitue l’hôpital public.

Le sentiment d’urgence gagne également la mise en scène. Sur les talons de Jamal, la caméra sillonne l’hôpital, court dans les couloirs et dans les escaliers. L’instabilité de certains cadres laisse transparaître la précipitation. Et le rythme du film fusionne avec celui, effréné, du psychiatre et des autres soignants. Toutefois, État limite n’a de cesse de briser la cadence infernale qu’impose le système. Les séquences autour de l’atelier théâtre qu’organise Jamal offrent de tendres échappées, tout comme les conversations qu’il a avec ses patients, dont Nicolas Peduzzi restitue le rythme apaisé. Le cinéaste ménage également de saisissants moments de stase, où s’égrainent des photographies en noir et blanc du service et des patients.

Comme Sur l’Adamant – dont il constitue en quelque sorte le contrechamp – État limite montre en quoi consiste véritablement le soin psychiatrique. À rebours d’une ambition absurde de rendement, il s’agit de construire, lentement mais sûrement, un lien avec les patients. Mais la défenestration, qui devient un motif dans le film, rappelle que l’institution publique et les quelques vétérans qui continuent d’y lutter sont au bord d’un précipice.

État limite / De Nicolas Peduzzi / Avec Jamal Abdel Kader / France / 1h42 / Champs-Elysées Film Festival – compétition longs métrages français / Sortie prochaine.

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