
En 2020 paraissait Le Consentement, témoignage sans concession de la relation entre Vanessa Springora et l’écrivain Gabriel Matzneff, célébrité des cercles littéraires parisiens. Elle avait 14 ans, lui 49. La réalisatrice Vanessa Filho, déjà à l’œuvre pour décrypter la défaillance des rapports familiaux et des jeunes corps dans Gueule d’Ange (sélectionné à Cannes en 2018), transpose le récit au cinéma et revient sur les traces d’une liaison qui n’aurait pas dû être.
Dans un vaste salon haussmannien et sous des lueurs tamisées rient aux éclats plusieurs amis, enchantés par les remarques spirituelles de Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve), assis au bout de la table, roi de la soirée. Parmi le petit collectif de cinquantenaires guindés se distingue une autre silhouette : celle de Vanessa Springora (Kim Higelin), intimidée, surtout quand elle remarque les œillades admiratives de Gabriel. En une scène, la réalisatrice nous démontre son approche naturaliste, autant attentive au drame personnel de sa protagoniste que les causes sociales qui en sont responsables. Le Consentement se veut aussi dramatique que didactique pour souligner les tares inhérentes à cet amant et illustrer comment une intelligentsia tout entière approuva cette union toxique au consentement impossible.
L’œuvre se construit en deux temps : en premier lieu l’attraction graduelle que ressentira Vanessa envers l’écrivain, la construction de leur amour si désespérément romantique selon eux ; en second lieu l’implosion de leur couple, gangréné par leur déséquilibre mais aussi le comportement de plus en plus pervers de Matzneff, d’abord Pygmalion charmeur, simulacre de grand poète tourmenté, et enfin ogre pervers qui contamine tout le quotidien de sa « petite écolière ». La caméra s’approche des corps et des visages pour mieux faire ressortir le contact des peaux, la texture parcheminé de la chair de Gabriel sur les teintes plus claires de Vanessa. Si ce choix esthétique est judicieux pour représenter l’anormalité de leur relation avec des contrastes forts, nous pouvons parfois regretter son aspect répétitif, associé au grain ostentatoire de l’image, qui en finit par souligner plus le dispositif filmique que la relation qu’il condamne.
Cette lourdeur se retrouve également du côté de la mère de l’héroïne (Laetitia Casta), adulte décadente qui explicite les vulnérabilités de sa fille mais dont la position narrative est trop ambivalente. Tour à tour contre cette liaison pédophile puis soudainement prise de pitié pour l’écrivain, on hésite à comprendre sa place et se demande si Vanessa Filho voulait dessiner le portrait d’une maternité en échec ou simplement surligner son récit avec du pathos artificiel.
Si la présence étouffante du pédophile coule de source, sa représentation dans Le Consentement le rend démesuré et inhumain, jusqu’à la dérision. Vanessa Filho exacerbe la monstruosité de Matzneff au point de le faire sortir tout droit d’un film d’horreur : en témoignent ces nombreuses scènes où la protagoniste tourne la tête et découvre le prédateur dans la rue, debout et immobile, le regard dissimulé derrière de larges lunettes de soleil, dans une imagerie qui rappelle Michael Myers d’Halloween. On atteint au cours du film une iconisation accidentelle de cet homme devenu grand méchant loup mythique et qui occulte Vanessa, simplement définie à partir de la souffrance que lui procure son amant. La toxicité du sujet est dénoncée uniquement par ses aspects les plus hideux et évidents, à grand renfort de répliques et scènes de sexe révoltantes, ignorant les éléments les plus insidieux. Il en résulte une œuvre inégale, souvent plus choquante que pertinente, mais qui n’enlève en rien la force et la nécessité de son témoignage.
Le Consentement / de Vanessa Filho / avec Kim Higelin, Jean-Paul Rouve, Kim Higelin, Laetitia Casta / France / 1 h 58 / sortie le 11 octobre 2023