
Les meilleurs documentaires de Wim Wenders s’étaient jusque-là appliqués à admirer les artistes par leur absence (Tokyo-ga, dans lequel il partait sur les traces de Yasujirō Ozu ; Pina, hommage des danseurs à leur ancienne chorégraphe Pina Bausch) ou leur disparition prochaine (le sublime Nick’s Movie, filmant les derniers jours du réalisateur Nicholas Ray). Anselm prolonge en cela la rupture entamée avec Le sel de la Terre puisqu’en filmant son ami, l’artiste plasticien Anselm Kiefer, Wenders s’accompagne de nouveaux enjeux : comment retranscrire par images la vie et l’œuvre d’un créateur toujours en activité ?
À cette question passionnante, le long-métrage trouve un premier élément de réponse dans son usage de la 3D. Loin des Avatar ou autres blockbusters récents s’étant pris au jeu de cette technologie poussiéreuse, elle s’offre ici à creuser les créations de Kiefer au sein du cadre, par un travail discret sur la profondeur de champ. Pas d’effets grandiloquents donc, mais une mise en scène minutieuse, qui attire le regard du spectateur plutôt que de l’écraser sous la surenchère. La magie opère peu à peu alors que l’atelier de Kiefer se mue en un paradis perdu, n’étant pas sans rappeler le Berlin des Ailes du Désir.
Seulement, si Wenders excelle dans le filmage des œuvres, il pêche étrangement dès qu’il s’agit de filmer l’artiste lui-même. Figure provocatrice, ayant entre autres questionné la résurgence du nazisme dans l’Allemagne moderne, Kiefer méritait certainement un documentaire à la hauteur de sa subversion. Or, ce n’est ici pas le cas. Fini l’épure de Pina, qui se refusait au portrait biographique pour laisser vivre la danse comme ultime souvenir d’une artiste, Anselm sombre au mieux dans les affres d’un docu-fiction assez vain, lors de passages qui reconstituent la jeunesse du protagoniste, ou au pire dans une réutilisation paresseuse d’archives, que Wenders tente parfois d’intégrer dans le décor, sans jamais creuser l’idée.
En passant par de tels outils, le cinéaste tombe dans un didactisme qu’on lui connaissait peu et semble oublier que l’art est souvent le meilleur témoin du génie créateur. C’est précisément lorsqu’il délaisse ses lourdes ficelles et qu’il filme seulement la silhouette de Kiefer, expérimentant ou vagabondant dans son espace de travail, qu’Anselm effleure une certaine beauté, qui restera malheureusement à l’état d’ébauche.
Anselm – Le Bruit du Temps / De Wim Wenders / Allemagne / 1h33 / Sortie le 18 octobre 2023.