
Un road trip de deux lesbiennes à l’aube du troisième millénaire, traquées par des gangsters dégénérés en quête d’une valise mystérieuse qu’elles transportent par mégarde, voilà un pitch bien connu qui a de quoi faire saliver. Surtout qu’il est signé par Ethan Coen, dont le frère a été remplacé à l’écriture par son épouse, Tricia Cooke. Naturellement, on s’attendra à retrouver tout de même le ton grinçant du duo culte, sous les roues d’une intrigue au fantasque inquiétant et rocambolesque. Faux départ : privée de son copilote, la machine est en panne.
Or parler de machine semble déjà un comble. Le cinéma des Coen, bien qu’il eût toujours le sens du jeu, n’a certes rien d’un manège juste agréable et préfabriqué. Sauf que Drive-Away Dolls n’est tragiquement pas des frères Coen. Et ça se voit. Plus grave encore, et l’on se demande presque si là n’est pas son génie, le film s’appréhende comme une contrefaçon, une copie détrempée de leur style qu’un cinéaste néophyte aurait produit chez Netflix. Le scénario, on l’a déjà donné, aussi ténu qu’un résumé : Jamie, incarnée par une Margaret Qualley à l’accent sauce texane arrache gueule, décide d’accompagner son amie Marian (Geraldine Viswanathan) après une violente rupture sentimentale – car Jamie, bien sûr, saute sur toute vulve qui bouge – pour des vacances à Tallahassee, en contrée conservatrice de Floride. L’une, sexuellement délurée, et l’autre, d’un naturel plus coincé, duo époustouflant d’originalité, sillonnent les routes jusqu’à leur point d’arrivée, discourant sur les seuls thèmes qui vaillent : la chatte, le con, ou encore la foufoune. De quoi s’éclairer.
Les intentions des auteurs sont limpides, lesquelles se préciseront plus concrètement ensuite, à savoir de confier à des femmes homosexuelles, soit gardées tout à fait des hommes, le moyen de braquer le patriarcat via son propre attribut. Un attribut symbolique, quoiqu’à l’aspect littéralement phallique – comprendra tout spectateur supplicié du film. Le MacGuffin de la mallette, ainsi détourné, prend dès lors un tour qui aurait pu amuser si seulement ce qui l’environnait était moins pantouflard, l’ironie incisive d’Ethan Coen ayant pris elle aussi des vacances. On la dénichera sans doute lors des instants d’ébats, trop ridicules, quand l’on découvre Jamie par exemple, laissant son coup du soir s’extasier du cunnilingus interrompu tandis qu’elle répond au téléphone. Que raille donc le cinéaste ? L’invraisemblance coutumière des scènes d’amour, les usages sexuels lesbiens (et pas que, heureusement), ce qui achèverait d’embarrasser, ou le parti pris de son film, dans un troisième degré étrangement trouble et alambiqué ?
On ne sait guère franchement quoi tirer de cette virée, volontairement régressive, dont témoignent les effets en toc du montage, aussi narrativement insignifiante que confuse dans son propos, où l’on invite à jouir mais qui peine à réjouir. Seul le metteur en scène paraît se divertir, manipulant ses protagonistes comme des poupées (cf le titre), des poupées en polyester qui ne réfléchissent plus rien de ce qu’auparavant ses personnages de médiocres reflétaient des vices de l’Amérique. Mais Drive-Away Dolls n’est résolument pas des deux frères, même si leur œuvre, on en conviendra, souffre depuis Ave, César ! d’une baisse de régime. Morale de l’histoire : on ne change pas une équipe qui gagne !
Drive-Away Dolls / de Ethan Coen / Avec Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Beanie Feldstein, Pedro Pascal, Matt Damon / U. S. A. / 1h24 / Sortie le 3 avril 2024.