
Il était une fois un téléphérique à la peinture orange et écaillée qui traversait une vallée verdoyante, où les fruits juteux se ramassent à l’épuisette et où des bouteilles de vin atterrissent dans des bottes de foin. Il était une fois deux opératrices de téléphérique, qui se croisaient toutes les demi-heures et tombaient amoureuses, sans un mot. Il était une fois un petit monde féérique où nous convie Veit Helmer avec ce film muet, empreint d’une agréable folie douce mais qui peine cependant à tenir la distance.
Gondola est joli, très joli même : Veit Helmer a su dénicher en Géorgie un paysage merveilleux, sublimé par la caméra de Goga Devdariani (Taming The Garden). Les images du téléphérique qui traverse l’espace infini entre les deux rives, des cabines défraîchies, de la salle de contrôle aux murs vert d’eau et aux roues qui s’enclenchent avec de lents grognements reviennent encore et encore, comme pour souligner que le film s’intéresse avant tout à son décor. L’écrin luxuriant qu’est cette vallée prend alors le pas sur ce qu’il renferme – les personnages rêveurs et décalés qui la peuplent – au risque de sacrifier par endroits l’histoire pour les images.
Mais un récit semblable à une fable parvient cependant à éclore doucement au sein de ce décor. Iva (Mathilde Irrmann) est tout juste de retour dans ce village et décroche le poste d’opératrice de téléphérique. Elle y rencontre Nino (Nini Soselia) qui ne rêve que d’échapper à son patron injuste et pervers pour devenir hôtesse de l’air. La romance entre les deux jeunes filles se tisse au rythme des allées et venues de leurs cabines et des stratagèmes qu’elles inventent pour pouvoir amuser l’autre. Cabines transformées en bateau pour Rio ou en fusée pour Mars, parties d’échecs, spectacle de claquettes et solo de violon, les saynètes s’enchaînent, bariolées, fantasques, et surtout muettes. Aucun mot n’est échangé dans ce film, qui se contente de rires, de sourires, de grognements, et de regards. Si le muet est par moments justifié – notamment par la contrainte d’avoir deux protagonistes qui ne font que s’apercevoir toutes les demi-heures – et donne lieu à de magnifiques scènes, comme celle d’un cercueil traversant la vallée à bord du téléphérique qui ouvre le film, il donne à d’autres endroits un sentiment de lourdeur et d’empêchement. En refusant de trancher entre le cinéma moderne et le cinéma muet classique – en n’utilisant ni les intertitres ni la gestuelle exagérée de ce dernier – Veit Helmer prive ses personnages de leur profondeur et les réduit à des conversations faites de petits rires et de mêmes sourires répétés jusqu’à écœurement, comme s’ils n’étaient que des pantins au registre limité.
La contrainte, surtout extrême, est souvent louée comme permettant d’avoir recours à davantage d’inventivité afin de la respecter tout en se l’appropriant ; mais ici, cette même contrainte a au contraire submergé l’imagination et devient motif de frustration plus de créativité. Un mécanisme pareil aurait été idéal pour un court-métrage mais ne parvient pas à tenir efficacement l’heure vingt de film et s’essouffle fréquemment, même s’il rebondit ici et là grâce à certaines scènes frappantes de beauté et de douceur. Gondola reste donc un film joli, agréable, qui ne réussit hélas pas à dépasser ses propres contraintes pour devenir le petit ovni qu’il aurait pu être.
Gondola / De Veit Helmer / Avec Mathilde Irrmann, Nini Soselia / 1h22 / Allemagne, Géorgie / Sortie le 24 juillet 2024.