Tatami

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© Metropolitan Film & Video

Le rectangle d’une blancheur éclatante se découpe sur un fond noir de murs et de gradins invisibles. Quelque part, les voix désincarnées de deux présentateurs résonnent : en blanc, pour la République islamique d’Iran, Leila Housseini, en bleu le Canada, l’Allemagne, la Roumanie, la Géorgie… Les silhouettes s’avancent, la caméra se rapproche du visage de Leila (Arienne Mandi) tendu par la concentration. Sur ce tatami, c’est plus qu’un combat de judo qui va se jouer : c’est la lutte pour un idéal sportif et humain.

Tbilissi, Géorgie, championnats du monde de judo. Leila Hosseini est déterminée à rapporter à l’Iran sa première médaille d’or, et elle a ses chances : redoutable judokate, elle enchaîne les ippons, est coachée par une ancienne légende du judo iranien, et est soutenue sans réserve par son mari et ses amis, qui la regardent depuis la télévision de leur appartement en Iran. Mais dans le parcours qui la mènera à l’or, elle risque d’affronter une athlète israélienne, pays que l’Iran refuse de reconnaître. Les pressions des mollahs commencent alors : Leila doit se retirer, sinon elle le paiera cher.

La plus grande partie du film se déroule en huis-clos : celui du stade, une architecture brutale, imposante, faite de dédales de couloirs sombres qui se referment peu à peu sur Leila. La caméra s’attache à ses pas alors qu’elle les traverse, et le danger risque de surgir au moindre tournant, les émissaires de l’Iran se rapprochant petit à petit de Leïla. Le sentiment d’oppression est paradoxalement d’autant plus fort quand l’athlète sort de ces couloirs resserrés pour s’avancer à la lumière sur le tatami. Là, exposée à tous les regards – de sa coach, des envoyés de l’Iran, et du monde entier qui la regarde à travers leur télévision – elle doit actualiser son choix à chaque seconde : se battre pour gagner au risque de mettre en danger sa famille, ou perdre et préserver sa vie en Iran. La caméra s’attache aux mouvements des pieds, rapides, précis, dont le moindre dérapage signifie la défaite, à la violence des corps qui s’étreignent, s’étranglent, alors que les combats deviennent de plus en plus difficiles et que l’état physique et mental de Leïla se dégrade progressivement.

Ce film, le premier réalisé par un Israélien – Guy Nattiv – et une Iranienne – Zar Amir Ebrahimi – se penche sur un sujet d’une telle ampleur qu’il aurait facilement pu être englouti sous ses enjeux. Des conflits au Moyen-Orient jusqu’aux compétitions sportives, en passant par les droits des femmes et la question de l’ingérence internationale dans les affaires d’un pays, le programme fait peur. Cependant, en faisant de Leila un personnage non pas idéaliste mais concentré sur un seul but extrêmement concret, la victoire sportive, Nattiv et Ebrahimi parviennent à resserrer toutes ces questions autour du sport et à les tisser intelligemment dans l’intrigue, sans écraser l’émotion intime des personnages ni paraître à aucun moment didactique. À la simplicité de l’image en noir et blanc répond celle du scénario, et c’est dans cette épure que Tatami trouve sa force. Ce n’est que vers la fin, quand on sort enfin du stade, que la tension retombe et que l’intrigue, déjà prévisible, devient plus classique, les scènes se réduisant en des fragments de vie presque documentaires. Malgré cela, Tatami demeure un film aussi beau que puissant, auquel il est impossible de rester indifférent. Médaille d’or.

Tatami / De Guy Nattiv, Zar Amir Ebrahimi / Avec Arienne Mandi, Zar Amir Ebrahimi, Ash Goldeh / 1h43 / Etats-Unis, Géorgie / Sortie le 4 septembre 2024.

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