Dahomey

Actuellement au cinéma

© Les Films du Losange

D’une nuit à une autre. Dans la noire obscurité de la réserve du musée du quai Branly-Jacques Chirac, gisent vingt-six trésors royaux, attendant de revenir à la vie, de renaître de ce que Mati Diop filme comme un espace limbique. Par du vide et de la durée. De cet abîme, la voix d’une statue résonne. La prosopopée, cette figure qui donne à l’objet une parole, affirme une autre voie pour la reconquête par le Bénin de son identité, de sa mémoire, ni strictement politique, ni culturelle. Une voie poétique.

Organisée en novembre 2021, la restitution de ces œuvres confisquées par le colonialisme se donne à voir équivoquement. Si la liesse accueille ces vestiges immémoriaux, si un angle de caméra, dans une caisse, paraît signifier la résurrection des statues alors exhumées comme de leur cercueil, c’est bien pour retourner à l’inertie. Figées derrière leur vitrine, dans un temps mort. L’idée, pourtant simple, de Mati Diop de faire parler l’objet trouve là toute son ampleur esthétique en ce que le cinéma vise soudain à parachever l’acte de restitution. En voulant restituer aux effigies leur « aura ». Pour cela, Dahomey renverse, retourne, réfléchit. Dans le musée à Cotonou, la cinéaste filme de derrière les vitrines, du côté des statues, les visiteurs qui les regardent. Par l’inversion des statuts du sujet et de l’objet, la mise en scène fait affleurer l’utopie d’une relation recouvrée. Soit donc une relation partiellement empêchée, et ce, par les conditions de l’exposition.

Peu à peu, la question de la réception et de la place de l’œuvre d’art recoupe le problème colonial. Aujourd’hui, les œuvres retournées sont de nouveau remisées. Preuve que leur retour sur leur terre d’origine n’est pas la fin de la restitution, ni du mouvement de réappropriation d’une identité, d’une âme enlevée et occultée. L’exposition, qui semble figer spatialement l’œuvre comme sa réception, Mati Diop la met en perspective en filmant des jeunes universitaires, débattant ensemble, tour à tour questionnant par exemple les intentions de l’État français, les conditions matérielles d’accès du peuple à son patrimoine, ou encore l’usage d’une langue qui n’est pas la leur, et qui informe leurs paradigmes. Autant de prises de parole qui circulent, réfléchissent, déplient l’identité béninoise et remuent l’héritage colonial.

La statue sacrée, allégorie d’une âme commune enfouie, retrouve sa résonance non pas dans sa présence physique, mais dans le songe qu’elle incarne d’un corps collectif spirituellement et culturellement réparé. Ici peut s’entrevoir les traces d’une pensée benjaminienne, le film restaurant la « valeur cultuelle » de ces trésors. Une valeur que ne confère pas sa visibilité, mais son existence même. C’est ainsi que la statue finit par s’étendre au dehors, par rejoindre le monde, jusqu’à pénétrer à l’écran le sommeil d’une femme. Si, malgré les procédés formels de Mati Diop, la dimension mystique recherchée fléchit souvent sous l’idée, manquant d’envelopper tout à fait le spectateur, elle demeure toutefois passionnante. Car ce que Dahomey révèle finalement, c’est que l’enjeu décolonial n’est pas spatial. Il est temporel. Ce qui doit être restitué, plus que les objets culturels, c’est un rapport au monde passé que l’histoire a brutalement balayé.

Dahomey / De Mati Diop / Gildas Adannou, Habib Ahandessi, Joséa Guedje / 1h08/ Bénin, France, Sénégal / Sortie le 11 septembre 2024 / Ours d’or – festival de Berlin 2024

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