
Dans leur premier long-métrage Mourir à Ibiza, le trio de cinéastes que forment Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, convoquait la figure d’Éric Rohmer à travers un conte estival en trois actes, prenant pour point de départ la rencontre contrariée entre Léna et son compagnon de voyage. Avec Laurent dans le vent, leur second film présenté dans la sélection de l’ACID, les réalisateurs délaissent l’esthétique lo-fi de leur premier film et bénéficient d’une production plus aboutie pour explorer avec un regard plus inspiré les aspirations d’une jeunesse en marge, en quête d’une utopie opposée aux injonctions contemporaines.
Cette fois, le récit s’éloigne de l’énergie lumineuse des stations balnéaires pour s’ancrer dans la torpeur d’un village transalpin hors saison ; un lieu que nul ne semble désirer habiter, si ce n’est Laurent, trentenaire désœuvré, dont la présence sur ces terres paraît aussi inexplicable que mystérieuse. Laurent fait son entrée tel un ange tombé du ciel : le film s’ouvre sur son arrivée en parapente, planant au-dessus du vide. Cette image inaugurale, suspendue entre ciel et terre, annonce d’emblée une tonalité de récit chancelante, portée par les aléas du vent, les rencontres fortuites et un désir de fiction. Cette instabilité ne relève pas seulement de la situation du personnage, mais engage plus largement une poétique du récit, dont les choix narratifs prolongent et approfondissent le geste inaugural.
Le désoeuvrement de Laurent s’incarne également à travers une narration qui s’écarte d’une forme traditionnelle pour envisager la durée comme une nouvelle modalité de l’espace. Laurent devient alors une figure de narrateur errant, comparable à celui du Bateau ivre de Rimbaud placé en exergue (Comme je descendais des Fleuves impassibles / Je ne me sentis plus guidé par les haleurs ), libéré des contraintes et lancé vers l’inconnu.
Ce déracinement géographique devient pour le trentenaire un moyen de réinsuffler de la fiction dans une existence morne, qu’il qualifie lui-même de suite de mauvais choix. Installé dans cette vallée, il tente de tisser des liens au sein d’une communauté de solitaires, tous également en quête d’un sens ou d’une place à occuper. À l’instar de Santiago, qui s’invente une mythologie viking pour mieux s’extraire du réel, les figures qui peuplent ce microcosme montagnard partagent une aspiration commune, celle d’une utopie de repli en rupture avec les désillusions du monde extérieur.
Mais dans ces tentatives d’échappée, rien ne s’incarne pleinement dans le parcours de Laurent. Chaque amorce de récit se délite, chaque promesse s’efface et renvoie inlassablement Laurent à sa solitude initiale. Qu’il s’agisse d’une romance avortée avec Béatrice Dalle ou de l’ébauche d’un départ vers Marseille avec le photographe Farès, tout semble condamné à l’évanescence. C’est précisément dans ce vide, dans ces attentes sans objet et ce sur-place que le film trouve son souffle propre ; un mouvement hypnotique et une véritable poétique de la suspension.
Laurent dans le vent / De Anton Balekdjian, Léo Couture, Mattéo Eustachon / Avec Baptiste Perusat, Béatrice Dalle, Djanis Bouzyani / France / 1h50 / Festival de Cannes 2025 – ACID / Au cinéma le 31 décembre.