La Bête dans la jungle

May plonge dans la foule avec aisance, elle y nage sans s’y noyer, s’y fond sans disparaître. Encore plus à la surface et presque à l’opposé d’elle, Tom observe, absent et distant. Après s’être rencontrés plus jeunes, ils se croisent et May reconnait Tom : « Vous m’avez dit que depuis votre plus tendre enfance, vous aviez l’impression d’avoir été choisi pour quelque chose d’exceptionnel et d’étrange… prodigieux, terrifiant, et qui devrait vous arriver tôt ou tard… ».

Patric Chiha transpose le roman d’Henry James, du papier à l’écran, du jour à la nuit, de la maison à la boîte de nuit. Dans ce huis-clos, les danses, les chants et les gens défilent. Patric Chiha crée un kaléidoscope sensoriel, au travers duquel on regarde les époques se succéder. Sons et lumières en parfaite symbiose engloutissent tout repère spatio-temporel. May et Tom demeurent, protagonistes étranges et étrangers qui nous guident dans ce lieu qu’on redécouvre à chaque fois qu’on y met les pieds. Le réalisateur saisit l’essence du monde la nuit : sa porosité, un camouflage qu’elle met au service de l’exaltation.

La Bête dans la jungle parvient à faire s’entremêler différentes notions et représentations du temps : précieux et gaspillé, continu et figé. Il est à la fois vécu et observé, dualité que le spectacle de la boîte de nuit et la mise en scène de Patric Chiha permet. Comme les personnages, le spectateur observe et attend ; il observe leur attente. Le film s’approprie et reconstruit le mystère du roman, il lui insuffle un nouveau rythme, une nouvelle vitalité, il est une invitation vertigineuse à l’immédiateté.

La Bête dans la jungle impressionne de par, presque paradoxalement, la démesure de son ambition et l’humilité avec laquelle elle est menée à bien. Un moment de fête distendu et un instant de cinéma suspendu.

La Bête dans la jungle / De Patric Chiha / Avec Tom Mercier, Anaïs Demoustier et Béatrice Dalle / 1h43 / Champs-Elysées Film Festival – compétition longs métrages français / Sortie le 16 août 2023.