
En 2021, La Nuée marquait l’entrée remarquée de Just Philippot dans la sphère restreinte du cinéma de genre français et faisait naître l’espoir d’une riche carrière. Ancrage malin de l’horreur organique dans notre paysage de “France profonde”, le long-métrage parvenait, certes fragilement, à faire vivre ses pans horrifiques et dramatiques, sans que l’un ne vienne prendre le pas sur l’autre. Deux ans plus tard, reprenez les mêmes ingrédients (la sphère familiale brisée, la menace comme extension du protagoniste), troquez les éléments les plus voyants (l’agricultrice en difficulté est remplacée par un ouvrier ex-gilet jaune, les sauterelles par une pluie toxique), gonflez le budget et nous voici avec Acide, adaptation de son efficace court-métrage du même nom paru en 2018. Le nouveau-né de Philippot avait donc toutes les cartes en main pour accoucher d’une bonne série B horrifique ou pour sombrer dans les écueils inhérents au second film. Triste est de constater que le film vient très vite se situer dans la seconde catégorie.
Incapable de détourner les archétypes éculés mis en place, le cinéaste se retrouve désormais à filmer des protagonistes au mieux caricaturaux (la jeune adolescente altruiste et hystérique) ou au pire risibles (le père prolétaire vouant une haine inconsidérée aux bourgeois, même au cœur de l’apocalypse). Alors que La Nuée parvenait à restreindre son cadre et donc son discours, Acide tombe dans le piège du bigger is better en cherchant à faire la cartographie complète d’une France bouillonnante, sans jamais dépasser le constat bête et fumeux sur son époque. La menace qui donne son titre au film incarne le lourd symbole d’une incommunicabilité générale – entre les classes, les générations ou les membres d’une même famille – mais ce que le film veut comme un brûlot politique ne va jamais au-delà de la note d’intention, tout juste esquissée via quelques dialogues de bas étage. Face à cette dimension sociétale lourde et envahissante, la dimension horrifique devient le parent pauvre.
Fini les vingt minutes ciselées du court-métrage original, l’adaptation perd tout sens du rythme comme du montage et, pire, se voit incapable de déceler en ces pluies torrentielles un quelconque potentiel cinégénique, au-delà d’une ou deux séquences-clés. Non content de “rendre hommage” – les guillemets sont de mise – à certaines séquences de La Guerre des Mondes ou Phénomènes, Philippot manque d’un point de vue marqué sur son sujet et tombe dans le pire des écueils : faire de l’ennemi un vague arrière-plan allégorique, qui existe uniquement au service du sacro-saint discours.
Acide / De Just Philippot / Avec Guillaume Canet, Laetitia Dosch, Patience Munchenbach, Suliane Brahim / France, Belgique / 1h40 / Au cinéma le 21 septembre 2023.