
Un Prince débute tel un doux conte, sur la tendre voix de Françoise Brown, directrice d’un centre de formation pour jardiniers, avant de basculer sur celle d’Alberto, professeur, puis de Pierre-Joseph, élève et futur protagoniste de ce récit au passé. Mais Un Prince débute également sur un étrange parti-pris : celui de limiter la parole des personnages principaux à des voix-off, doublées par des interprètes différents de ceux visibles à l’écran. D’entrée de jeu, la nouvelle œuvre de Pierre Creton fait donc l’objet d’un décalage par rapport aux êtres polymorphes qu’elle filme.
Sous ses airs de récit initiatique prude, le nouveau film de Pierre Creton dévoile rapidement une certaine radicalité formelle ainsi qu’une nature tout autre : les fleurs ne sont ici pas simplement objet d’études, mais le reflet d’un éveil sexuel. Dans Un Prince, les hommes se cueillent comme des fleurs et les bouquets se conçoivent comme des orgies. L’appétence de Creton dérive de la botanique pour toucher aux corps, desquels le cinéaste semble se languir, qu’ils soient jeunes, vieux ou venus d’un autre monde. Cette crudité ne sonne cependant jamais gratuite. Au contraire, elle témoigne d’une douceur bienveillante à l’égard de ses personnages et de son audience, en laissant une place non négligeable au non-vu.
Néanmoins, malgré la qualité évidente du doublage – superbes Françoise Lebrun, Mathieu Amalric, Grégory Gadebois -, le dédale parlé qu’organise le long-métrage amène à une corrélation entre langage littéraire et cinématographique. En refusant régulièrement d’imager ce qu’il conte par les mots et en réduisant a minima les interactions autres que sexuelles, Creton enferme progressivement ses hommes dans un statut désirant ou désiré assez simpliste.
Coupant ainsi court à toute l’humanité qu’on pouvait notamment trouver dans Le Bel Été, le dernier long-métrage de fiction réalisé par l’auteur, Un Prince semble uniquement trouver sa raison d’être lors d’un joli dernier acte, laissant poindre le fantastique et – enfin – l’émotion. Mais trop tard. Cette dictature de la voix-off au détriment de l’image-cinéma a tôt fait de transformer la radicalité bienvenue du projet en une impasse esthétique assez dommageable et le grand film attendu en une agréable curiosité.
Un Prince / De Pierre Creton / Avec Antoine Pirotte, Pierre Creton, Vincent Barré et Manon Schaap / France / 1h22 / Sortie le 18 octobre 2023.