
La comédie de mœurs agit en quelque sorte comme un marqueur, une boussole des interrogations, des changements inhérents aux rapports amoureux. Décrire une histoire de la comédie de mœurs dans son ensemble (de la comédie romantique à la satire de couple potache, autrement dit de 27 robes à un éléphant ça trompe énormément), c’est aussi faire l’histoire de ces fragilités, de ces failles, de ces diktats qui nous accompagnent dans nos relations. Ce qui implique également une datation marquée, une sorte d’instantané de l’amour à une époque donnée. Le Syndrome des amours passées, n’y échappe pas, et s’en amuse même.
Le couple Sirot/Balboni ne se contente ainsi pas de poser un cadre conservateur qui se verrait bousculé par de nouvelles conceptions relationnelles ou de faire l’inverse, comme il en est coutume dans le genre. Ils amènent leurs personnages à se confronter directement aux limites des ces nouvelles conceptions. En cela, les cinéastes se posent dans une certaine perspective d’avant-garde voir d’expérimentation, dans une liberté tout de même rigoureusement cadrée.
Rémy et Sandra, couple de bobos néo-quadragénaires, sont stériles, atteints du “syndrome des amours passés”. Seule solution pour espérer concevoir : coucher une ultime fois avec tous leurs ex partenaires. Ce scénario prétexte (tout bien trouvé qu’il est) souligne d’emblée les enjeux sur lesquels le film se focalise : fidélité et procréation. Qu’est-ce qu’un couple s’il n’est pas fidèle ? Qu’est-ce qu’un couple s’il n’engendre aucune descendance ? Interrogations somme toute classiques, c’est leur traitement qui, ici, se révèle relativement innovant. La question de la fidélité est, en effet, vite transcendée au profit d’une autre, celle d’une distinction possible entre amour physique et amour dit platonique.
Au début du film une dichotomie se pose : Rémy n’a eu que 3 partenaires dans sa vie, il a même menti, se vantant d’avoir couché avec une capverdienne (révélant un trope sexuel classique mais non moins d’actualité, la conquête d’une femme exotique comme preuve de virilité); le nombre de partenaires de Sandra se compte en dizaines. La gêne se trouve davantage du côté de Rémy, le malaise abordé est celui d’un dualisme supposé dans l’accès à la relation sexuelle entre les sexes : il serait bien plus simple pour une femme de coucher que pour un homme. Dualisme nettement contemporain, évacuant le cliché de la femme facile et du tombeur, pour mettre en lumière deux nouveaux archétypes, la femme libérée et l’InCel (célibataire involontaire). L’habileté du couple de cinéastes tient dans son détournement du cliché : le faible nombre de partenaires de Rémy est vu par son entourage féminin comme un atout, une preuve que Rémy s’implique avec ses partenaires, les considère. De plus, cette “incapacité” à séduire, en tout cas à remplir les attentes de séductions masculines, est battue en brèche dès que notre homme dépasse son inconfort primaire face à la gente féminine. La finalité n’est pourtant pas celle que l’on pourrait croire, cette victoire n’en est pas une, la vraie victoire se situant justement dans une fidélité par choix et non par dépit. Rémy peut coucher mais il choisira Sandra, comme il en sera de même pour celle-ci.
Chaque retrouvaille avec un ancien partenaire est l’occasion d’un moment joyeux certes, mais aussi et surtout d’une mise en lumière des raisons de son amour pour son conjoint. Chacun s’illustre en antithèse de Rémy sur un point précis, soulignant ce qui vient former une galaxie de particules de charme. La question de la procréation, finalité du récit, est elle aussi détournée : évidemment après tant de rapports, avec tant de partenaires, la paternité de l’enfant devrait aussi être sujet d’interrogations. Il n’en est rien, l’enfant est, c’est là la seule victoire. Le film se montre ainsi dans sa narration tel une sorte de pérégrination amoureuse, du couple vers l’extérieur pour mieux s’y réinvestir à deux, en un tissu dialectique, où chaque expérience extra-conjugale est aussi le lieu d’une expérimentation esthétique, on s’amuse à décrire les rapports en couleurs, en métaphores, en matières entre les corps. Les détails extrapolés des morphologies et des univers de chacun deviennent métonymies des sensations, de petites explosions pops qui surgissent ça et là au gré du scénario. Le sexe en devient jeu plus qu’enjeu, beau et doux, traduit en expérience graphique du corps de l’autre. Rémy et Sandra, eux, ne couchent pas, en tout cas leurs rapports ne sont pas montrés, seulement suggérés, leur rendant une dimension intime. Mais de chaque interaction, de chaque geste se lit la tendresse, la distance ou le rapprochement entre nos amoureux.
Le film n’est évidemment pas exempt de défauts : le rythme parfois trop systématique, l’esthétique pop un peu redite, le scénario, bien qu’adroitement construit, n’échappent pas à la lourdeur didactique qui incombe souvent au film à propos… Il n’empêche que le Syndrome des amours passées tente, il essaie, innove, se renouvelle à l’intérieur même de son genre, sans s’oublier en tant que comédie, sans s’oublier en tant que film.
Le Syndrome des amours passés / De Ann Sirot, Raphaël Balboni / Avec Lucie Debay, Lazare Gousseau / Belgique / 1h 29min / sorti le 25 octobre 2023