La Passion de Dodin Bouffant

Au cinéma le 8 novembre 2023

© Gaumont

La cuisine a toujours investi de loin le cinéma très sensoriel de Trân Anh Hùng. Si l’on se prête au jeu du regard rétrospectif, les quelques soupes savamment mijotées par la jeune Mui dans L’odeur de la papaye verte ou les quelques nouilles dégustées par Cyclo annonçaient déjà La Passion de Dodin Bouffant. Dès son introduction, une longue préparation d’un généreux repas par Eugénie (Juliette Binoche) et Dodin (Benoit Magimel), le projet sonne comme une évidence, le cinéaste trouvant ici le parfait terrain de jeu pour sa mise en scène sensorielle.

Avec une sobriété bienvenue, à peine entachée par quelques travellings bien sentis, le long-métrage prend un malin plaisir à embrasser l’art culinaire, ses gestes précis, ses regards concentrés, ses sons exquis et son érotisme sous-tendu. Plus que le simple appétit qu’elles peuvent susciter, ces longues séquences procèdent avant tout à une savante fusion entre deux passions, culinaire pour l’une et amoureuse pour l’autre. Lorsqu’il joue de cette corrélation, via un montage qui s’attache aux parallèles – la poire et le corps d’Eugénie, les oignons et le deuil -, La Passion de Dodin Bouffant tire une délicate beauté de cette romance, où les mets concoctés remplacent les mots du coeur. 

Dès qu’il quitte le plan de travail pour donner vie autrement à ses protagonistes, Trân Anh Hùng retombe hélas dans l’académisme plombant, qui freinait auparavant Eternité. Ainsi, les émotions jusqu’ici joliment éprouvées à travers les aliments – le deuil, l’amour, la filiation – se retrouvent trop souvent appuyées par des dialogues lénifiants, capables à eux seuls de briser la douceur mise en place. A mesure qu’il s’enferme également dans une sorte d’utopie sociale, prétexte pour esquiver toute ambiguïté sur son sujet et les questions qu’il amène – les différences de classe qui s’y jouent insidieusement -, La Passion de Dodin Bouffant confond tendresse et pacifisme béat. Ce n’est soudain plus la justesse des premières minutes qui saute aux yeux, mais le sentiment contrasté d’assister au parasitage interne d’une œuvre unique en son genre, rattrapée par d’éternelles conventions.

De Trân Anh Hùng / Avec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger, Patrick d’Assumçao et Galatea Bellugi / 2h15 / France / Sortie le 8 novembre 2023.

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