
Parmi les nombreuses franchises qui pullulent dans l’industrie cinématographique actuelle, Godzilla est une des seules parvenant à trouver du renouvellement dans chacune de ses itérations, réussies ou non. Tour à tour protagoniste ou antagoniste, symbole du traumatisme nucléaire ou d’un problème écologique plus global, le lézard ne cesse de muter pour accompagner les inquiétudes de son époque. Shin Godzilla, dernier exemple japonais en date, offrait notamment une passionnante alternative bureaucratique au kaijū eiga et figurait la banqueroute politique du pays à travers l’évolution progressive de la bête. 37e épisode de la saga, Godzilla Minus One décide de faire à nouveau table rase et impose un retour aux sources, en plaçant son film dans l’immédiat après-guerre, contexte qui n’avait pas été abordé depuis le premier épisode de 1954.
Ce rétropédalage, signe d’essoufflement et de stagnation dans beaucoup d’autres séries, amène ici un virage drastique et reporte toute l’intrigue autour des traumatismes originels du Japon. Suivant le jeune Koichi, kamikaze déserteur revenu au pays, Godzilla Minus One fait le choix d’une inimitié aux antipodes de Shin et n’agit plus seulement comme reflet du traumatisme nucléaire mais de la Seconde Guerre mondiale et du conflit armé en général. Plus connu pour des films techniquement aboutis qu’émotionnellement impactants (Space Battleship : L’ultime Espoir, Lupin III : The First), Takashi Yamazaki surprend par la noirceur de son traitement, gouverné par le deuil et les visions cauchemardesques. Le Japon filmé ici est une terre déchue, où les ruines et les séquelles se dissimulent petit à petit, sans jamais totalement disparaître.
Au milieu des débris, le monstre éponyme agit quant à lui comme une présence horrifique, mué par une pulsion de mort et de démolition, avançant coûte-que-coûte vers Koichi et le continent. À mesure qu’il déploie sa dimension spectaculaire, le long-métrage laisse poindre un constat politique amer, faisant du patriotisme exacerbé et aliénant le véritable ennemi. Certes, Takashi Yamazaki n’a pas la puissance subversive de Starship Troopers, mais son Godzilla avance avec une ambiguïté bienvenue, loin des plaidoyers guerriers de certains épisodes. Ce Minus One a beau faire preuve d’une facture technique ahurissante, multipliant les moments de bravoure et de destruction spectaculaires, il dessine surtout la touchante histoire d’une reconstruction difficile, à l’échelle de l’individu ou du Japon.
De Takashi Yamazaki / Avec Ryūnosuke Kamiki, Minami Hamabe, Sakura Andō, Kuranosuke Sasaki / Japon / 2h05 / Sortie le 07 décembre 2023.