
Pour Takumi, homme à tout faire du village de Mizubiki, récolter l’eau de source est une tâche minutieuse. Se rendre à la rivière, remplir soigneusement quelques bidons puis les ramener péniblement à la voiture, le tout dans un silence imperturbable. La tâche est reproduite deux fois au cours du Mal n’existe pas, nouveau-né de Ryusuke Hamaguchi : une première avec son ami cuistot, qui utilise l’eau pour cuisiner ses udon, puis une seconde avec deux agents de communication, venus présenter le projet de glamping, s’installant prochainement dans la région. Dans cette répétition somme toute anodine, Hamaguchi distille la mécanique sournoise de ce nouveau long-métrage.
En dépit de son titre, Le mal n’existe pas ne cède jamais aux sirènes du manichéisme ou de toute logique binaire et va, au contraire, prendre un malin plaisir à déjouer le programme d’un tel intitulé. De fait, après une absurde séquence de discussions entre les membres du village et les représentants du glamping – les premiers dénonçant les risques environnementaux du projet, les seconds ne sachant comment se défendre -, Hamaguchi s’éloigne momentanément du petit village pour suivre les deux agents, Takahashi et Mayuzumi.
Sous son air d’innocent pas de côté, ce bref revirement du point de vue rebat les cartes et toutes les certitudes établies. Les personnages ne sont plus seulement les représentants ridicules d’une urbanisation boulimique, toujours hors-champ, mais apparaissent avec surprise comme des individus plutôt attachants, qui s’avouent mutuellement leur solitude lors d’un long trajet en voiture.
Dès lors, la possible rédemption des deux citadins agit comme un trompe-l’œil sur l’ensemble du film qui, compte-tenu de sa conclusion à première vue irraisonnée, invite à reconsidérer tous les signes avant-coureurs. De lointains coups de feu par-ci, une branche ensanglantée par-là : le drame a ça de fort qu’il s’annonce par détails et s’incarne toujours à travers une nature signifiante plus que par des confrontations verbales éculées. Hameau pour Takumi et sa fille, la forêt perd peu à peu de son équilibre, à mesure qu’elle tente de repousser ces corps étrangers et que s’exprime l’impossible réconciliation entre leurs deux mondes.
Dans l’œil jamais surplombant de Hamaguchi, la même question persiste, à laquelle seul le spectateur est en droit de répondre : le mal réside-t-il dans la menace inconsciente que représentent les agents de l’urbanisme ou dans l’acte cathartique qui mène in fine à leur rejet ?
Le Mal n’existe pas / de Ryusuke Hamaguchi / Avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ryuji Kosaka et Ayaka Shibutani / Japon / 1h46 / Sortie le 10 avril 2024.
Une réflexion sur « Le Mal n’existe pas »