L’Ombre du feu

Actuellement au cinéma

© Carlotta Films

Les yeux rivés sur le présent, plongés – volontairement ou non – dans une spirale de violence, les protagonistes mis en scène par Shin’ya Tsukamoto n’ont que faire de ce qui les attend demain, si tant est que le terme leur soit familier. À entendre les paroles d’un ex-soldat japonais, clamant que “peu importe comment on tombe, il n’y a pas d’avenir”, on serait tenté de voir en L’Ombre du feu, dernier opus de sa trilogie guerrière entamée avec Fires on the Plain puis Killing, une logique prolongation des concepts nihilistes établis. Mais une rupture, discrète, est pourtant bien là.

Alors qu’il pourrait aisément céder à un pathos malvenu ou à l’effervescence formelle qu’on lui connaît, Tsukamoto se place étonnamment sous le signe du calme et de l’intime. Huis-clos endeuillé puis road-movie lymphatique, L’Ombre du feu évolue formellement au gré de ses protagonistes et se reconstruit en même temps qu’eux. Une telle humanité étant rare dans le cinéma du Japonais, souvent propice à la souffrance et à l’individualité, elle est d’autant plus forte que sa mise en scène semble elle aussi prendre du recul sur le sujet.

Cadres collés aux visages et caméra légèrement tremblante sont ainsi de pairs pour traduire une violence qui ne trouve plus d’exutoire mais qui semble constamment prête à exploser. L’atrocité de la guerre est donc d’autant plus sournoise qu’elle se tapit dans l’ombre d’un faux classicisme et derrière les visages – ceux des soldats, figures peu à peu monstrueuses – ou l’environnement – la maison en décomposition, se muant en champ de ruines -, donnant naissance à quelques images doucement cauchemardesques.

Mais à l’impossible reconstruction personnelle et familiale des adultes, L’Ombre du feu juxtapose le point de vue d’un enfant. Spectateur silencieux d’un monde en ruines, le jeune homme passe de mère en père de substitution, d’une désillusion à une autre, et Tsukamoto trouve dans sa figure impassible un nouvel espoir, faisant face à la déshumanisation environnante. “Pourquoi ce regard ?” interroge violemment le premier soldat, finalement plus gêné par l’expression d’une simple interaction humaine que par un quelconque jugement.

À l’aune de cette violence à laquelle il est confronté et à laquelle il aurait pu céder, le regard du garçon agit comme la plus forte et la plus noble des armes, imposant un retour à l’altruisme. Contrechamp quasi-fordien à la propre carrière de Tsukamoto, L’ombre du feu offre une touchante rupture, non pas dans l’horreur qu’il filme, toujours présente en filigrane, mais dans la possibilité qu’il offre de s’en libérer.

De Shin’ya Tsukamoto / Avec Shuri, Mirai Moriyama, Oga Tsukao, Hiroki Kono / Japon / 1h35 / Sortie le 1er mai 2024.

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