The Outrun

Actuellement au cinéma

© UFO Distribution

Le vent bat la côte, un hurlement constant se mêle au bruit des vagues déchaînées qui s’écrasent sur les rochers où survivent quelques plantes rachitiques. Sous l’eau, tout est plus calme : une forêt d’algues danse lentement, protégeant sous ses frondaisons la population de phoques gris. Selon une ancienne légende, ils sortiraient de l’eau, transformés en humain, le temps d’une nuit. S’ils restent jusqu’au lever du soleil, ils sont condamnés à rester humains pour toujours et errent sur terre, regrettant l’époque où ils pouvaient nager librement. C’est dans ce paysage austère des Orcades, une île au large d’une île au large d’une île, que Nora Fingscheidt filme The Outrun, dont la poésie de l’image rivalise avec celle des mots.

Adapté d’un roman d’Amy Liptrot, L’Écart, qui raconte l’histoire de son alcoolisme et son exil dans les Orcades dans l’espoir de s’en sortir, The Outrun joue avec la voix-off et les flashbacks pour retranscrire la détresse permanente dans laquelle se trouve son héroïne. Rona, incarnée par une Saoirse Ronan éblouissante, est transportée des fêtes incessantes de Londres, où l’alcool coule à flots, jusqu’à l’Ecosse, dans la petite maison de sa mère dévote et la caravane de son père bipolaire. Dans un état second, les jours se coulent les uns dans les autres, Rona glisse d’une période à une autre, oscillant entre passé et présent, dans un entremêlement de temporalités où le seul point constant est l’alcool – sa présence ou son absence, toutes les deux aussi fortes l’une que l’autre. La mise en scène entraîne le spectateur dans ce même flou temporel, oscillant entre les flashbacks sans qu’on sache toujours très bien quand se déroule telle ou telle scène. Avec l’alcoolisme, c’est le cerveau qui est affecté, les connexions neuronales qui sont réécrites, et Rona doit livrer un combat continu contre elle-même, comptant péniblement les jours, sans savoir si le moment viendra où tout sera enfin un peu plus facile.

Si des thèmes aussi durs peuvent rebuter, il ne faut pas s’y tromper : le film est lumineux, percé ici et là de rayons de soleil et s’acheminant doucement vers l’espoir. Saoirse Ronan incarne un personnage dans toute la laideur de son addiction, se jetant sur ses planques de bouteilles, enchaînant les scènes affreuses avec son partenaire, puis remonte, pas à pas, du fond de sa dépression vers une forme d’apaisement. Les images des îles, de la vie sous-marine, d’une station spatiale isolée dans le ciel de nuit, capturent la beauté sauvage de ces endroits presque désolés et initient la reconnexion progressive de Rona à son corps et aux autres. C’est un vent de liberté qui souffle sur ce film, en miroir de celle que Rona reconquiert sur cette île au bout du monde, et qui est traduit par l’utilisation inventive du montage : des passages rapides, saccadés, viennent interrompre les plans naturalistes des paysages pour les entrecouper d’images d’archives, de diagramme, qui illustrent les exposés faits en voix-off expliquant aux spectateurs des choses aussi diverses que l’origine de l’alcool, les propriétés des algues ou les légendes locales. L’animation s’invite dans une séquence entière, avec un style détaillé, rappelant les enluminures de livres et les réalisations du studio irlandais Cartoon Saloon (Le peuple loup, Le chant de la mer). Cette voix-off est cependant par moments trop présente, rappelant un peu lourdement le lien du film à son matériau de départ, et vient s’ajouter à de nombreuses facilités que s’autorise la narration, qui tombe à certains endroits dans le mélodrame. Mais il n’est pas difficile de passer outre ces quelques faiblesses et de se laisser emporter par la douceur de cette ode à la nature et la liberté.

The Outrun / De Nora Fingscheidt / Avec Saoirse Ronan, Paapa Essiedu, Stephen Dillane / 1h58 / Royaume-Uni, Allemagne / Sortie le 2 octobre 2024.

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