
« L’art le plus noble est celui de rendre les autres heureux » s’exclame, devant un public restreint mais passionné, la diva Beluga (Fabrice Morio), maitre de proue du cabaret drag La Sirène à Barbe. Au cœur de la ville de Dieppe, ici perpétuellement nocturne, bordée par la mer où voguent des grands navires silencieux, le jeune Erwan (Victor Grillot) pêche seul et rêve de se vêtir d’écailles pour nager au large. Une volonté de transformation qui entre en écho avec le cabaret et sa troupe d’artistes, famille chaleureuse mais abîmée. Il n’appartient qu’à Erwan d’entrer sur scène à la dérobée, par les coulisses, pour découvrir ce monde de paillettes et de lumières fluos. Mouvement similaire aux réalisateurs Nicolas Bellenchombre et Arthur Delamotte, en admiration de ce milieu qu’ils cherchent à honorer par ce long-métrage entre le documentaire et le mélo. Une intention honorable mais perdue dans une exécution parasitée par la naïveté et l’amateurisme.
Film hommage et d’amour teinté de militantisme pour la cause queer, La Sirène à Barbe ambitionne une représentation romanesque mais proche de la réalité. Non seulement le cabaret existe réellement, mais tous les drags du film en sont des véritables artistes. Une volonté d’authenticité louable, qui contredit l’interprétation trop lourde des personnages, où chaque réplique semble trop écrite pour ces comédiens sans expérience. La fraternité de la troupe s’enraie tant dans leurs échanges en privé que dans leur performance sur scène, alors que la caméra parvient rarement à donner de l’énergie ou de l’élégance à leurs spectacles. Pire, ces captations peu inspirées rythment l’œuvre avec paresse, lui donne un artifice d’épaisseur et de semblant de poésie. Paradoxalement, les rares envolées réussies se retrouvent hors de la scène et de coulisses, lorsque ces comédiens alors débordants de vie rentrent chez eux seuls, errants dans les rues désertes de Dieppe, cherchant sans trouver une maison accueillante, un contact humain sincère.
Là apparait le défaut majeur de La Sirène à Barbe, trop attaché à faire du cabaret un portrait binaire et simpliste. D’un côté, nous avons une carte postale enchantée, joyeuse et offrant un abri à tous ; d’un autre, un exposé sans concession de personnages brisés et vulnérables, aux relations amoureuses brisées et instables qui font plonger l’œuvre dans un soap trop pathétique quant à l’âpreté des sujets traités. Plus fans que cinéastes, les réalisateurs abandonnent toute prétention de mise en scène à l’approche de la grande représentation finale, lorsque La Sirène échoue à Brighton. La caméra suit notre joyeuse troupe dans les rues, à faire des grimaces, s’émerveiller devant les monuments et sourire pour l’objectif ; comme un vlog trop plat pour permettre aux spectateurs de vraiment accéder à ce monde clos mais accueillant, pourtant le seul but louable de cet œuvre.
La Sirène à barbe / de Nicolas Bellenchombre et Arthur Delamotte / avec Maxime Sartori, Fabrice Morio, Victor Grillot / France / 1 h 35 / Sortie le 2 octobre 2024