Mémoires d’un corps brûlant

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Nour Films

Mémoires d’un corps brûlant prend le parti audacieux de raconter au pluriel l’histoire de chairs courbées sous le poids des tabous liés à la sexualité, en passant paradoxalement par le singulier. 

On distingue trois voix : celles d’Ana, Patricia et Mayela, environ 70 ans, d’origine costaricienne ; pour une seule incarnation. Le documentaire sonore embrasse la fiction visuelle, et ouvre la porte à l’autofiction : car si Antonella Sudasassi Fumissavec retrace le rapport au corps de ses ainées, c’est avant tout grâce à leur pugnacité silencieuse, leurs revendications, leurs combats, et dans leur sillage, féminin et féministe, que la cinéaste a la possibilité de déployer un tel propos. Un propos qui résonne dans les oreilles de celles et ceux d’hier, comme d’aujourd’hui. 

Filmer l’intime entraine des interrogations éthiques : faut-il montrer ou cacher ? préserver ou exposer ? Antonella Sudasassi Fumissavec révèle en même temps qu’elle obstrue. Elle enveloppe ces femmes qui se livrent du voile de l’anonymat, en ne dévoilant jamais leur visage, mais les fait exister au travers de leurs paroles, par l’incarnation physique de leurs souvenirs qui s’emmêlent, pour ne former plus qu’un être de fiction : une femme de leur génération, unique et multiple tout à la fois.

Le film débute alors que cette vieille dame époussette des cadres photos dans son salon, amorçant la thématique des souvenirs et les flash-back, nombreux, qui ponctuent et lient l’intrigue. L’ingéniosité de la mise en scène concentre les particularités de sa protagoniste : elle est une et infinie. Les mouvements de caméra, l’apparition d’objets ou de protagonistes mentionnés en voix off, suffisent à faire émerger le passé dans le présent. Les temporalités cohabitent dans cet appartement palimpseste : les couloirs sont autant de parchemins à déchiffrer, les portes des ouvertures qui laissent entrevoir des scènes de vie antérieures, comme une écriture effacée sur laquelle serait gravée une autre plus récente. C’est un jeu de superposition, où ici devient ailleurs, entrainant une forte charge poétique. On voit ainsi se matérialiser une fête foraine, avec son manège, ses lumières chaudes et clignotantes, dans cette maison dont on ne distingue plus vraiment le dedans ni le dehors, l’entrée et la sortie, les murs eux-mêmes semblant avoir été étirés, à l’image de la temporalité convoquée par Ana, Patricia et Mayela.

Cette dimension lyrique n’enlève rien à l’âpreté des témoignages, à leur rudesse et leur brutalité, ni à l’actualité des thèmes évoqués (la méconnaissance de l’anatomie féminine – par les hommes comme par les femmes, les violences conjugales, la puberté, la découverte du désir à l’adolescence et sa redécouverte bien plus tard, après la ménopause…), mais les accompagne, sans basculer dans le sentimentalisme, ou le pathétique, en demeurant à la juste distance : celle de l’intime qui touche à l’universel. 

De Antonella Sudasassi Fumissavec / Avec Sol Carballo, Paulina Bernini, Juliana Filloy / Costa Rica, Espagne / 1h30/ Sortie le 20 novembre 2024.

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