Loveable

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© Øystein Mamen

« Ne me quitte pas, il faut t’oublier, tout peut s’oublier. » Interprétée par une artiste dans le métro norvégien, la chanson de Brel prend une dimension particulière pour Maria, le personnage principal de Loveable, alors qu’elle est sur le point d’être quittée par son mari. A mi-chemin entre la mini-série d’Ingmar Bergman Scènes de la vie conjugale et la palme d’or de Justine Triet Anatomie d’une chute, le premier film de Lilja Ingolfsdottir radiographie avec justesse les affres du couple.

« Comment vous-êtes vous rencontrés ? » La question de la thérapeute qui interroge Maria sert de point de départ au film et à l’introspection qu’y mènera le personnage, merveilleusement interprété par Helga Guren. D’emblée, la linéarité narrative est fracturée : un flash-back nous offre le récit de ladite rencontre et permet d’installer le couple Maria-Sigmund à l’écran. Maria a déjà deux enfants d’une précédente union lorsqu’elle rencontre Sigmund. Premier échange de regards, première conversation, premiers émois… Par fragments et dans des plans rapprochés qui nous font adopter sa perspective, le film égraine les souvenirs de Maria, sans mièvrerie. Le tout est de permettre aux spectateurs de croire en l’évidence de ce couple, pour rendre leur séparation d’autant plus brutale. Et cela fonctionne. « Sept ans plus tard » : le carton qui ouvre la seconde partie du film marque une rupture. Aux premières scènes d’une vie conjugale où les deux personnages, lumineux, partageaient presque tous les plans, succède une séquence chaotique de supermarché où Maria est seule pour gérer ses enfants, avec un paiement refusé, et un mari qui ne répond pas au téléphone.

On pourrait d’abord croire que le film se résume à une analyse sociologique du couple au 21e siècle, abordant les inégalités économiques au sein d’un foyer hétéronormé où l’homme travaille et où la femme met sa carrière en pause pour se consacrer à ses enfants, dans un provisoire qui devient définitif. Mais Loveable relève davantage du drame psychologique, au sens premier du terme. C’est l’action psychologique du personnage de Maria qui fait l’objet d’un examen clinique : les moindres mécanismes de pensée sont scrutés. Cela passe par un usage brillant du montage, qui permet à la réalisatrice de réexplorer les mêmes scènes à plusieurs reprises, en dévoilant à chaque fois une nouvelle strate de sens. Ce sculptage original du temps cinématographique est pleinement justifié par le fil conducteur du film : les séances chez la thérapeute de couple. Celles-ci sont prétextes à se plonger avec le personnage dans les bribes de ses souvenirs, sondés en voix off par les questions de la psychologue.

L’enjeu de l’intrigue n’est pas vraiment de savoir si le couple a un avenir, mais de voir si le passé de Maria offre des clés qui auraient pu permettre d’anticiper et de prévenir la déchirure. C’est pourquoi les scènes conjugales explorées sont apparemment les plus anodines : le brossage des dents le soir, le coucher, les repas… Autant d’endroits et de moments où les accrocs dans la dynamique du couple deviennent de plus en plus palpables. La place centrale du récit introspectif se manifeste dans l’omniprésence des miroirs : Maria scrute son visage comme elle scrute son passé pour mieux se comprendre.

Ainsi, Loveable se révèle moins une histoire de séparation que de réunification, et celle-ci prend plusieurs formes. C’est d’abord une réconciliation avec soi-même, qui apparaît comme la condition nécessaire pour être à nouveau en capacité de donner de l’amour et d’en recevoir, de la part d’un mari, mais aussi de la part d’une mère ou encore d’une enfant. La polysémie du titre anglais met en lumière subtilement cet aspect : il s’agit pour Maria de comprendre qu’elle est aimable, c’est-à-dire digne d’être aimée, et surtout capable d’aimer à son tour.

Loveable / De Lilja Ingolfsdottir / Avec Helga Guren, Oddgeir Thune, Marte Magnusdotter Solem / Norvège / 1h41 / Sortie le 18 juin 2025.

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