
Avant que l’écrivaine Daisy Goodwin ne s’attelle à réaliser une série sur la souveraine britannique Victoria, la vie de celle-ci avait déjà fait l’objet de deux films. Les adeptes se souviennent avec nostalgie de la version sirupeuse de l’autrichien Ernst Marichka, Les Jeunes années d’une reine (1954), dans laquelle Romy Schneider faisait ses premiers pas au cinéma. Et plus récemment, on a découvert un portrait plus contrasté dans la production américaine Victoria : les jeunes années d’une reine (2009), un biopic classique avec son lot d’infidélités historiques. Inutile de préciser que la série est plus proche de cette dernière réalisation.
20 juin 1837. Le roi Guillaume IV s’éteint. Sa petite-fille, la princesse Alexandrina Victoria, lui succède au trône. Elle a tout juste dix-huit ans. Ainsi débute le deuxième règne le plus long de toute l’histoire du Royaume-Uni – après celui d’Elizabeth II. La matière parfaite pour une série historique, féministe et mainstream. C’est le caractère exceptionnel de ce destin qui séduit : rien ne prédisposait Victoria à devenir monarque puisqu’elle occupait seulement la cinquième place dans l’ordre de succession au trône. Qui plus est, ce dernier était alors encore déterminé par la primogéniture masculine…
Le format de la série est idéal pour traiter le temps long du règne de Victoria : il permet de ne pas se focaliser exclusivement sur ses jeunes années, comme celui du long métrage l’imposait aux deux films évoqués en préambule. Par essence, le modèle sériel joue sur la dilatation du temps pour retarder au maximum sa fin. La showrunneuse de la série, Daisy Goodwin, a su éviter une narration trop elliptique. Les trois saisons se concentrent ainsi sur les quatorze premières années du règne de la monarque, de son accession au trône en 1837 à l’Exposition universelle organisée par le prince Albert (son époux) en 1851. Entre les deux, 25 épisodes nous permettent de découvrir sa vie de femme et de monarque, au gré de diverses affaires familiales et affaires d’État.
Romanesque et feuilletonnesque, entremêlant librement l’histoire et la fiction, la série ne cherche pas particulièrement à rester fidèle aux événements et aux vies qu’elle relate. Bizarrement, on s’en accommode assez rapidement. Sans doute parce que Victoria semble résulter de la fusion entre deux productions britanniques d’envergure : Downton Abbey et The Crown. Le lien avec cette dernière apparaît facilement, les deux séries se consacrant aux deux souveraines les plus célèbres de la monarchie britannique. Quant à Downton Abbey, la parenté tient aux nombreuses intrigues fictives imaginées concernant les domestiques du palais (habilleuse de la reine, cuisinier, valet…) qui décentrent la série du personnage de Victoria et introduisent une dimension sociale à la série.
On retrouve ainsi la dichotomie caractéristique de la réalisation de Julian Fellowes entre aristocrates et domestiques dans des trames narratives modernes qui interrogent le modèle monarchique en introduisant les idées de démocratie et de justice sociale.
Concernant l’image, rien de véritablement inventif, mais du classique et un découpage efficace pour une série très normée. En bref, Victoria respecte à la lettre une recette qui marche. À consommer lentement et avec modération pour éviter l’indigestion.
Victoria / De Daisy Goodwin / Avec Jenna Coleman, Tom Hughes, Catherine Flemming, Rufus Sewell / Royaume-Uni / 3 saisons / Disponible sur Arte jusqu’au 30 décembre 2022.