
Deux hommes cheminent sous le soleil implacable du désert. Habillés de costards, l’un tout en noir, l’autre tout en blanc, ils discutent avec nonchalance d’un jeune homme mort après une chute de huit étages (sans compter une balle dans l’estomac et une overdose), s’arrêtant à peine le temps d’échanger des sacs d’argent contre de la drogue. Il suffit d’une scène à Elias Belkeddar pour planter ses personnages et son décor, dans un style teinté d’une ironie noire où la violence et la mort sont des occurrences quotidiennes sans réelle gravité.
Omar (Reda Kateb), au sobriquet dont les origines sont l’objet d’autant de légendes sanglantes, ne peut plus mettre les pieds en France où il vient d’être condamné à 20 ans de prison par contumace. Lui et son complice de toujours, Roger (Benoît Magimel) décident donc de se réfugier en Algérie pour vivre une vie plus tranquille. Dans une immense villa à la piscine éternellement vide, les jours s’étirent sans rien pour les remplir. Rongé par l’ennui et la nostalgie de Paris, Omar reprend les rênes d’une usine de gâteaux, se perd dans les rues d’Alger, rencontre une bande d’enfant des rues qui lui jurent loyauté, s’éprend d’une contremaître, cherche à se lancer dans le trafic de drogue et les courses de dromadaires. À la manière de l’errance d’Omar dans la ville, les intrigues s’enchaînent sans nécessaire logique, l’une disparaissant alors qu’une autre que l’on avait presque oubliée ressurgit tout à coup.
Ce rythme disparate signe le style particulier d’Omar la fraise. C’est surtout dans les dialogues qu’il se tient, porté par la tchatche de Reda Kateb et Benoît Magimel, qui permettent d’éviter l’ennui et de suivre avec plaisir le jeu de ping-pong sans règles qui se déroule tout du long sous nos yeux. L’appliquer au scénario est un choix plus discutable, surtout lorsque celui-ci, après s’être fait attendre pendant plus d’une demi-heure, disparaît à son point le plus dense derrière des séquences musicales quasiment sans dialogues, qui évacuent les moments pourtant les plus importants de l’histoire en moins de dix minutes. On peut ainsi regretter de s’attarder aussi peu sur Samia (Meriem Amiar), qui revendique son indépendance et ne se laisse pas intimider par Omar, l’entraînant même dans un divertissant jeu de chantage (où il faut cependant qu’Omar aie le dernier mot). Malgré ces lacunes scénaristiques, tous les personnages réussissent à ressortir et à emporter notre affection, d’Omar à la bande de gosses qui alternent entre braquer des stations-services et jouer au foot dans la rue, et ce assez pour que l’on accepte de se laisser porter vers une destination imprécise entourée de fils décousus, juste pour le plaisir de les voir vivre encore un peu.
Omar la fraise /d’Elias Belkeddar / avec Reda Kateb, Benoît Magimel, Meriem Amiar / France, Algérie / 1 h 32 / Festival de Cannes – Hors compétition / Sortie le 24 mai 2023