
Cinquante ans après L’Exorciste, les démons continuent de hanter les États-Unis et nous tourmentent avec des horror flicks oubliables produits à la chaîne, comme La Proie du diable l’année dernière ou L’Exorciste du Vatican aujourd’hui. À l’Est, dans les forêts désertes et glaciales de la Pologne, la réalisatrice Julie Kowalski décortique à son tour l’influence du Malin sur l’esprit d’une adolescente innocente… à moins que la menace ne soit plus pernicieuse encore ?
J’ai vu le visage du diable suit les fondations posées par William Friedkin avec une fidélité trop apparente : Majka (avec Marie Wróbel) est une lycéenne qui voit son quotidien peu à peu infecté par une menace sourde, un mal-être à la fois extérieur, tapi dans les visages hostiles de tous les passants qu’elle croise, et intérieur. Le court-métrage dissèque le procédé d’exorcisme méticuleusement institutionnalisé par l’Église que doit suivre notre protagoniste, entre fiche psychologique à remplir par mail, vidéos Youtube de cérémonie et bien sûr rendez-vous dans un manoir isolé tout droit sorti d’un tableau de Caspar David Friedrich.
Le contraste entre le concept archaïque d’un exorcisme et son traitement très moderne est au centre du malaise provoqué par l’œuvre. Julie Kowalski construit son film sans effets superflus et avec une caméra fixe qui scrute ses personnages incapables d’expliquer le mal qui les ronge. Le point de vue presque naturaliste adopté par la réalisatrice exacerbe la violence des séances d’exorcisme durant lesquelles Majka laisse exprimer le « démon » en elle, à mi-chemin entre la séance de thérapie et la mystification. Alors qu’aucune réponse claire n’est donnée, la présence funeste du Diable se confond à celle des institutions oppressives de l’Église pour faire de J’ai vu le visage du diable une œuvre intelligente et inspirée.
J’ai vu le visage du Diable / Julie Kowalski / avec Maria Wróbel, Wojciech Skibiński / Pologne / 36 min / Festival de Cannes 2023 – Quinzaine des Cinéastes.