
Les enfants vivent, lorsqu’ils sont ensemble, dans un monde régi par leurs propres règles, celles qu’ils édictent. Et il y a une certaine forme de honte à ne pas les respecter. Si l’on commence à jouer, on ne peut plus les réfuter. Quel que soit ce qu’on attend de nous, il faut continuer. Alors, action ou vérité ?
Dans un petit village, Eva est amie avec Tim et Laurens. Inséparables, ils se font appeler « Les Trois Mousquetaires », mais rapidement leurs préoccupations divergent : les deux garçons veulent se rapprocher de filles qu’ils jugent attirantes et Eva veut en devenir une. Les jeux prennent une tournure différente : à chaque mauvaise réponse à une devinette, la joueuse devra retirer un vêtement. Se manifeste alors chez Eva une forme de haine ambivalente : elle s’en veut d’être complice des garçons mais elle leur en veut autant de ne pas lui proposer d’y jouer.
Mais ça n’est pas tant la dégradation de l’estime de soi de l’adolescente que filme Veerle Baetens que, justement, la capacité des enfants à dépasser ce ressenti égocentrique pour se rendre compte que quelque chose ne va pas. Plus que d’être vexée car ses amis demandent à d’autres filles de se déshabiller, elle saisit pourquoi ce qu’ils font est prohibé. Plus que d’être triste de ressembler à un garçon lorsque sa mère lui coupe les cheveux, sa petite sœur perçoit le côté erratique d’un parent alcoolique.
En mêlant passé et présent, Veerle Baetens fait de Débâcle un film d’anticipation terrible : de la bêtise jusqu’au traumatisme. Plus l’œuvre avance, plus l’idée d’une réconciliation pacifique disparait. Plus Eva vieillit, plus les séquelles la gagnent (ses deux interprètes, enfant et jeune adulte, sont époustouflantes). La douleur est contenue dans son visage, lui-même contenu par le cadre. Autour d’elle, tout est flou : derrière ou devant, à gauche ou à droite, il n’y a pas d’issue. Pour réellement pouvoir s’enfuir du village, de ses souvenirs et de son propre corps c’est un mouvement vertical qu’il faudra ; celui d’une dépouille qui s’élève du sol, au bout d’une corde.
Débâcle est une gradation dans l’horreur : la violence des mots, des corps et des coups adolescents ; et les adultes comme tortionnaires supplémentaires. Malgré le poids de son sujet, Débâcle n’est jamais lourd. Le film traite admirablement d’une insouciance jamais retrouvée, d’une vie adulte sacrifiée à des jeux d’enfants sanguinolents.
De Veerle Baetens / Avec Charlotte De Bruyne et Rosa Marchant / 1h53 / Belgique / Festival international du film de La Roche-sur-Yon 2023 / Sortie le 28 février 2024.