
La figure de Leonard Bernstein était faite pour le cinéma. D’abord, car il est l’un des seuls chefs d’orchestre américains reconnus à l’international, il était donc évident que les studios de production finiraient par s’en saisir. Ensuite, parce qu’il dirige de façon particulièrement cinégénique ; il existe d’ailleurs pléthore de matériaux visuels (interviews, leçons ou concerts) permettant de l’imiter ou, rendons à Cooper ce qui est à Cooper, de recréer l’image de Bernstein, à la perfection. Le fait que son œuvre de compositeur soit toujours exploitée – un récent remake de West Side Story par Steven Spielberg – et que son histoire personnelle soit dans l’air du temps – il affichait une sexualité décomplexée – achevaient de faire de ce 20 décembre 2023 le moment propice à la sortie, très attendue, de Maestro.
Un jeune Leonard ouvre les rideaux de sa fenêtre comme ceux d’une scène, avant de réellement y monter pour la première fois. En quelques plans, Bradley Cooper nous met face à un jeune homme qui sera toute sa vie en constante représentation. Funambule de talent qui avancera sur la corde entre génie et guignol, entre exubérant et agaçant. La justesse des dialogues et l’impressionnante performance de l’acteur parviennent néanmoins à faire de Bernstein un personnage de cinéma, non seulement crédible, mais aussi très touchant. Si les effusions de paroles et les débordements affectifs du protagoniste sont justifiés, il est dommage que le cinéaste trouve nécéssaire d’ajouter grand nombre d’effets stylistiques visuels. L’accumulation de significatif dans les images de Bradley Cooper les prive parfois de la beauté simple qu’elles semblaient pourtant posséder. Dans Maestro, tout doit avoir un sens : les dialogues, les images et la musique. Tout doit symboliser plus que ce que ce qu’il dit ou ce qu’il montre. En résulte un film à l’esthétique parfois écœurante et à l’intrigue interminable.
Effectivement, et très paradoxalement, Maestro manque cruellement de rythme. Ses séquences musicales sont loin d’être les plus réussies et s’avèrent même parfois franchement ratées, comme c’est le cas pour la chorégraphie fantasmée des trois marins de On The Town, que le personnage de Bernstein finit lui-même par danser. Une séquence finalement assez risible et qui montre bien le désir, louable à l’origine mais qui prend des proportions délirantes, de Bradley Cooper de tout faire et, surtout, de trop faire. Maestro confirme, même si ses défauts sont moindre, ce qu’on voyait dans Une Étoile est née, à savoir un attrait prononcé pour l’esbroufe, voire pour le mauvais goût.
Mais peut-on reprocher à un homme qui admire et interprète Bernstein de trop verser dans l’emphase ? Car c’est justement cela qui aurait pu (du ?) être au cœur de Maestro : comprendre pourquoi cette démesure émotionnelle propre à Bernstein avait résonné avec celle au cœur l’œuvre de Gustav Mahler, et comment elle était transcendée par la direction d’orchestre. Mais le film de Bradley Cooper, voulant s’intéresser à l’homme, l’artiste, le compositeur, le chef d’orchestre, le musicien et sa femme finit par ne rien nous en révéler d’intéressant. Pourtant, les enjeux quant au travail de chef d’orchestre et les questions soulevées par l’interprétation de certaines œuvres sont à la fois assez méconnues du grand public et peu exploitées sur le grand écran (contrairement aux compositeurs ou de musiciens, sur lesquels les biopics foisonnent d’ores et déjà).
On finit donc – lentement et difficilement – Maestro voyant en Leonard Bernstein un type fort sympathique, mais c’est à peu près tout. Car à trop vouloir mettre en scène ce qu’il y avait de commun chez Bernstein en tant qu’homme, Bradley Cooper en oublie de mettre en avant ce qu’il avait d’exceptionnel en tant qu’artiste.
Maestro / de Bradley Cooper / Avec Bradley Cooper, Carey Mulligan, Sarah Silverman, Matt Bomer et Maya Hawke / 2h09 / États-Unis / Sortie le 20 décembre 2023 sur Netflix.