
Priscilla Presley fut toujours institutionnalisée : sous la tutelle de ses parents, puis celle de l’école, puis celle du père d’Elvis et enfin celle d’Elvis. Elle est enfant, élève et femme mariée. Sofia Coppola utilise le médium filmique, et son propre statut par rapport à son actrice, pour retranscrire la vie de Priscilla : elle l’habille, la maquille, la coiffe, chorégraphie ses mouvements, scripte ses paroles et observe ses actes.
La puberté pour une jeune adolescente est une période que l’on souhaiterait vivre discrètement, sans témoin. Priscilla Presley connait une expérience radicalement opposée puisque c’est toute l’Amérique qui la voit grandir. Sofia Coppola figure son évolution par les changements vestimentaires ou cosmétiques qui rythment les différentes étapes de sa vie. Mais sous les habits distingués et les coiffures travaillées se trouve encore la petite fille qui, résignée, se laisse conduire d’un endroit à un autre. Constamment entre quatre murs – si bien qu’elle finirait presque par devenir comme un meuble dans l’immense manoir Presley -, Priscilla voit rarement l’extérieur. Elle va d’une cage dorée à une autre en voiture de luxe, que quelqu’un d’autre conduit. C’est d’ailleurs pourquoi, si symboliquement, lorsqu’elle franchit enfin les grilles de Graceland pour s’en aller, elle est enfin au volant.
Priscilla est effectivement, et avant tout, un récit d’émancipation, physique et intellectuel. On ressent dans le film de Sofia Coppola la difficulté qu’il y a à devenir adulte dans un monde où les adultes se comportent comme des enfants. Entre auto-tamponeuses ou patin à glace, les activités d’Elvis et de ses amis se révèlent particulièrement enfantines et ses agissements, bien souvent, immatures. Priscilla doit grandir selon la temporalité des autres. Et même la découverte du plaisir charnel lui est refusé jusqu’à ce qu’Elvis ait décidé du contraire. Lui qui venait de perdre sa mère, adopte une petite fille.
Si les raisons pour lesquelles Priscilla lui est présentée ne sont pas clairement définies – la réalisatrice agence d’ailleurs subtilement une scène de classe dans laquelle la chaine alimentaire est évoquée et cette première soirée, durant laquelle une très jeune Priscilla se retrouve jetée en pâture à des hommes plus matures – l’aspect malsain et restrictif qu’on peut trouver à leur relation ne frappe pas d’emblée. Bien au contraire, dès leur rencontre, une réelle complicité s’installe entre les deux américains et donne progressivement, mais rapidement, naissance à un amour sincère : « Now I don’t hardly know her, but I think I could love her, crimson and clover…»
La réalisatrice sait d’autant plus qu’il est facile de jeter la pierre à postériori, aussi bien sur les autres que sur soi. Et de son film se dégage donc une réelle bienveillance envers ses protagonistes. Elle ne cherche ni à comprendre, ni à expliquer ou justifier la nature de la relation entre Priscilla et Elvis mais à la raconter, à la mettre en scène. De Priscilla émane en effet un véritable désir de cinéma : comment figurer cette histoire d’amour qui, dans ses proportions, ses lieux et ses acteurs a quelque chose de fondamentalement irréel, de proprement cinématographique ? S’éloignant des tropes narratifs et des reconstitutions visuelles des biopics habituels, le film de Sofia Coppola, délicat et éthéré, y parvient avec une grande intelligence.
Priscilla / De Sofia Copolla / Avec Jacob Elordi et Cailee Spaeny / 1h53 / États-Unis / Sortie le 3 janvier 2024.