Mahjong

Actuellement au cinéma

© Carlotta Films

Winston Chen a disparu, laissant derrière lui une montagne de dettes ! Des membres de la pègre sont à sa recherche. Ils pensent que son fils les conduira à lui…

Le carton introductif de Mahjong, avant-dernier long-métrage d’Edward Yang, prolonge une évolution amorcée par la fin de Confusion chez Confucius. À l’argent que les héros des précédents opus convoitaient tant, un individu cherche désormais à y échapper. Une première anomalie dans le système d’Edward Yang, qui sera vite doublée via l’apparition de Marthe, une jeune Français débarquant à Taipei, mue par un désir non pas d’argent mais d’amour. Et que faire de cette vieille chimère dans le monde nouveau du capital ?

La première apparition de Marthe est ainsi une intrusion dans le microcosme de protagonistes, uniquement dirigés par l’intérêt, et dans la forme même du film puisqu’elle bouscule à la fois Luen Luen, nouvelle recrue d’une bande juvénile, mais aussi le plan, dans lequel elle s’immisce et qu’elle pousse dès lors à la suivre. La maîtrise si chère au cinéaste se voit heurtée, déréglée même.

Le projet, à la fois formel et thématique, n’est dès lors pas éloigné du jeu dont il prend le nom et consistera à intégrer cette pièce solitaire dans la masse. Si Mahjong demeure encore aujourd’hui l’un des plus films les plus réussis de son auteur – et paradoxalement l’un des moins acclamés, c’est précisément puisqu’il procède à une logique interne erratique, loin des structures (trop) rectilignes de ses œuvres les plus connues (Terrorizers, Taipei Story). La silhouette innocente de Marthe doit résister à tous les flux.

Ceux de la métropole, maelstrom de mouvements en tout genre auxquels il faut fuir à chaque seconde, ceux des autres protagonistes, qui cherchent à l’exploiter d’une manière ou d’une autre, ou de la caméra de Yang, prenant un malin plaisir à suivre cette protagoniste magnétique et à en chercher l’apprivoisement. En vain, car contrairement aux autres protagonistes, le cadre n’annonce jamais les actions de la jeune femme, mais tente d’y réagir, que ce soit lors de cette bousculade initiale ou de la fuite finale de la voiture de Marcus, action que la caméra manquera purement et simplement de filmer.

Marthe réagit ainsi au monde et s’en trouve libre tandis que tous ses comparses (la bande juvénile dirigée par Red Fish, les occidentaux) pensent contrôler, voire mettre en scène, les signes du contemporain mais n’en sont finalement que les servants. Derrière le cynisme qui pourrait très vite miner un tel dispositif, Mahjong joue les équilibristes, cherchant autant à pleurer qu’à ironiser sur le triste sort de chacun des anti-héros. Là se joue la charge politique sourde du long-métrage, dans cet entre-deux, dans un simple fondu enchaîné entre le cri de désespoir de Red Fish, ado taiwanais éternellement prisonnier de son statut et des escroqueries qu’il a mises en place pour y pallier, et le rire de Marcus, riche occidental et grand vainqueur du récit capitaliste.

Le futur de la société occidentale (et de l’impérialisme) est ici !” murmure d’ailleurs joyeusement ce dernier. Face au nouveau siècle et ses promesses empoisonnées, quoi de plus beau comme ultime acte de rébellion, pour Yang et ses deux protagonistes, qu’un plan rapproché et un baiser ?

Mahjong / de Edward Yang / Avec Virginie Ledoyen, Tang Congsheng, Ke Yu-Luen, Chang Chen / 2h01 / Taïwan / Sortie le 16 juillet 2025.

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