
C’est au Bristol Old Vic que Jeremy Irons suit une formation de théâtre classique avant de faire ses débuts professionnels sur scène en 1969 puis au cinéma en 1980. Durant ces vingt premières années il collabore notamment trois fois avec la célèbre Royal Shakespeare Company. C’est donc sans grande surprise qu’on le voit tenir le rôle d’Antonio, aux cotés de – plus inhabituel – Al Pacino, dans l’adaptation du Marchand de Venise de William Shakespeare par Michael Radford en 2004.
Le personnage d’Antonio est celui d’un riche marchand Vénitien intriguant dans un premier temps de par sa mélancolie. Trait de caractère facile à maîtriser pour Jeremy Irons qui est habitué aux rôles demandant une certaine retenue. Sa figure longiligne, son regard perdu, sa pudeur et sa voix posée donnent au personnage une douceur et sensibilité troublante.
Cette modération trouve pourtant son opposé dans l’amour que le personnage ressent pour Bassanio, un ami à qui il accepte de prêter de l’argent pour lui permettre d’épouser la femme qu’il aime. Ces deux personnages fondamentalement ambigus possèdent une relation qu’il reste difficile de caractériser. Si Jospeh Fiennes, incarnant Bassanio, admet avoir appréhendé le rôle en imaginant un passif amoureux entre les deux hommes, Irons souligne qu’il s’agit sûrement d’une romance platonique. On comprend pourtant que cette dévotion réciproque mais fuyante car Bassanio envisage le mariage pourrait être la principale cause du malheur d’Antonio.
L’expression de cette passion énigmatique se traduit par des détails notables comme des regards discrets qu’Irons appose sur son ami : jeu de désirs implicites et risqués. Son adoration devient pourtant évidente lorsqu’il accepte de se sacrifier pour Bassanio. Dans un face à face final avec Al Pacino, Jeremy Irons captive en contrastant une attirance refoulée, une dévotion inébranlable et une peur de la mort déchirante.
De cette adaptation très réussie émanent tout le savoir-faire et l’éloquence de l’acteur britannique. Avec l’incarnation de ce personnage fondamentalement tragique, il allie avec une élégance inébranlable sa maîtrise de la scène et l’intensité nécéssaire pour le média filmique.
Le Marchand de Venise / De Michael Radford / Avec Jeremy Irons, Al Pacino, Joseph Fiennes et Lynn Collins / Angleterre / 2h18 / 2004.