
Face aux motifs informes et aux sons perçants qui l’agressent, le spectateur a tôt fait de se demander ce qui a bien pu passer par la tête de Phil Tippett, pour imaginer Mad God.
De sa narration absconse, tenant plus du rafistolage grossier de trois courts-métrages que du récit construit, jusqu’à son univers indéfinissable, alliage entre stop-motion et prises de vues réelles, entre steampunk et post–apo, le projet lancé il y a trente ans par cet ancien directeur d’effets visuels n’est certainement pas des plus accessibles. Pour qui veut bien la voir, cette âpreté de façade cache pourtant une générosité à toute épreuve, évoluant elle aussi sur un fil ténu. Fasciné par son monde, dans lequel chaque corps déformé est vecteur d’horreur comme de burlesque, le long métrage arbore à travers la contradiction des symboles une vraie liberté esthétique, qui lui donne une qualité perdue par beaucoup d’artisans modernes : celle de donner à voir de nouvelles images.
Même si l’on retrouve inévitablement des traces de son propre artisanat – certaines créatures à la Jurassic Park ou de grands complexes industriels semblables aux AT-AT des Star Wars – ou celui de ses confrères (Svankmajer en tête), Mad God opère une transfiguration totale de celles-ci, en les mêlant toutes ensemble. Son univers n’est jamais loin du joyeux bordel nonsensique mais parvient miraculeusement à trouver une identité et une cohérence propres. Loin des œuvres à dissertation, l’auteur renoue ainsi avec un cinéma sensible, qui tient uniquement pour et par sa proposition formelle. Souvent brouillon, souvent brillant, le cabinet des curiosités brandi par Tipett désarçonne inévitablement mais touche à la chair de ses personnages et in fine au cœur du spectateur.
Mad God / De Phil Tippett / Avec Alex Cox, Niketa Roman, Satish Ratakonda, Arne Hain / Etats-Unis / 1h24 / Sortie le 26 avril 2023.