
À 87 ans, l’ancien combattant Ken Loach paraît plus que jamais fatigué. Au moins autant que son héros las mais résistant TJ Ballantyne, tenant à bout de bras son Old Oak (en français : vieux chêne…), dernier pub de son village minier du nord de l’Angleterre, paupérisé suite aux fermetures successives des mines, dans l’indifférence étatique. Alors que viennent s’y installer plusieurs familles de réfugiés syriens, notre brave Ballantyne, dont le nom rime avec « choukrane » (et qui a une lettre près s’appelait comme le whisky), choisit, sous l’impulsion de sa jeune amie Yara, d’ouvrir deux fois par semaine dans son bar une cantine gratuite pour les nécessiteux, accueillant familles de réfugiés et de déclassés.
Mais certains habitués du lieu, et amis de son propriétaire, ne voient pas l’initiative du même œil, retranchés qu’ils sont dans leurs turpitudes xénophobes. De ce tropisme navrant, et pourtant si commun, Ken Loach ne dit rien, prouvant de nouveau sa sensibilité de gauche avant tout morale plutôt que critique. Le prolétaire méfiant n’est qu’un idiot, merci, bonsoir. Mais à défaut de trouver la finesse heuristique d’un Cristian Mungiu, qui filmait dans R.M.N les tensions au sein d’une communauté roumaine face à l’embauche d’ouvriers étrangers, on effleurera dans The Old Oak l’embryon d’un questionnement crucial qui devrait un peu plus agiter la gauche contemporaine : comment réunir « beaufs et barbares » ? (voir Beaufs et barbares, le pari du nous d’Houria Bouteldja, 2023)
Telle est l’utopie soutenue par notre incorrigible idéaliste, que – de mémoire – on n’avait pas vue traitée ainsi dans son œuvre ; un rêve de concorde, de fait si marxiste, unissant tous les ignorés, tous les échoués sous les tempêtes économiques et politiques. C’est en des hommes comme Ballantyne que le cinéaste nourrit ses restes d’espoir : des hommes moyens, abattus (et ils sont nombreux), qui devant l’engagement d’autrui peuvent se mettre à agir. L’action résultant nécessairement de forces extérieures et collectives.
Si le propos apparaît relativement naïf, tissé par des situations pesamment programmatiques, la sincérité et la foi persistante de l’auteur pugnace ne manquent pas d’émouvoir. Surtout qu’elles s’accompagnent d’une introspection succincte que le récit introduit dès son ouverture, alors que Yara, bousculée par un badaud querelleur, voit son appareil photo s’écraser au sol. Instrument par lequel elle explique pouvoir salutairement choisir comment regarder. Or ce regard, est-il en voie de s’épuiser ? Quelques temps après, l’appareil sera réparé, signifiant ainsi, en écho avec d’ autres micro-drames indiciels, que le médium artistique peut et doit tenir bon devant l’âpreté du réel. Au crépuscule de sa carrière, Loach ne renonce pas à l’idéel pouvoir réformateur du cinéma. De ce constat naît la plus vive émotion du film. Et rares sont les entêtés pouvant à ce point bouleverser.
The Old Oak / de Ken Loach / Avec Dave Turner, Ebla Mari, Claire Rodgerson / Royaume-Uni / 1h53 / Sortie le 25 octobre 2023