Sleep

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© The Jokers Films

“Quelqu’un est entré”, murmure d’une voix rauque le somnambule Hyun-Soo, sous le regard effrayé de sa femme enceinte, Soo-Jin. Point de départ de Sleep, cette réplique a priori banale, maintes fois ressassée jusqu’à devenir un trope comme un autre au sein du cinéma d’horreur, récupère ici de sa terreur originelle. Jason Yu, dont c’est le premier film, impose ce renouvellement par une subtile entorse au code établi : l’infraction mentionnée n’est pas en cours mais survient dans les secondes qui suivent, comme pressentie par le mari inconscient. De cette scène inaugurale glaçante découle la belle promesse de Sleep. Et si l’inquiétude ne se logeait plus dans une menace extérieure mais au sein-même du foyer, au cœur de l’être aimé qu’on pensait tant connaître ? 

Dès lors, le jeune cinéaste ne cesse d’organiser son spectacle autour d’une reconfiguration permanente. Regard désincarné et gestes imprévisibles du mari endormi, posture défensive puis dangereusement offensive de sa compagne insomniaque : la figure familière est remodelée à la fois comme instrument des mécaniques horrifiques, qui acquièrent une imprévisibilité bienvenue, mais également comiques, puisqu’elle s’articule souvent autour de gags macabres et burlesques. Il n’est ainsi pas injustifié de voir en cette dimension polymorphe un héritage des grands maîtres du cinéma de genre coréen, de Kim Jee-woon à Bong Joon-ho. Mais là où ses pairs y tenaient un savant équilibre, l’œuvre de Jason Yu tourne progressivement à vide.

Étude du couple, société du paraître, persona-double, possession, voisinage mystérieux : dans une logique purement graduelle, la narration de Sleep a tôt fait de virer à l’esbrouffe, multipliant les fausses pistes au service d’une efficacité ne devant jamais être prise à défaut. Si la profusion thématique pourrait donner lieu au plaisir ludique du film à puzzles, Sleep ne laisse malheureusement que peu de portes ouvertes à son audience et donne plus souvent l’impression de miser sur l’effet immédiat – la folie expédiée de Soo-Jin, le twist final – que sur son cheminement. Le dernier acte, devant assumer grossièrement sa théâtralité pour justifier une inversion du rapport de force, en est le discret aveu d’échec. Que Jason Yu mène tambour battant son honnête divertissement est une chose, mais qu’il le fasse au détriment de toute matière grise ôte au film son vertige horrifique inaugural.

Sleep / De Jason Yu / Avec Jung Yu-Mi, Lee Sun-Kyun, Kim Guk-Hee, Yoon Kyung-Ho / Corée du Sud / 1h34 / 21 février 2024.

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