
L’Empire semble exister autour d’une seule image : un croiseur interstellaire posée sur les plages de la côte d’Opale. Déjà amorcée dans Coincoin et les Z’inhumains, cette rencontre entre l’univers de Bruno Dumont et de la science-fiction va ici plus loin, transplantant à la relative simplicité du body-snatcher la démesure du space-opera.
De ce pur délire d’esthète, le long-métrage en jouit régulièrement dans sa première partie. Avec une absurdité plaisante, le cinéaste impose un subtil renouvellement des formes récurrentes de son cinéma. Les cathédrales y deviennent vaisseaux-mères, les hommes d’Église mutent en tyrans intergalactiques et les chevaliers cosmiques se cachent sous les traits de banals civils. Inversement, l’économie naturaliste de Dumont contamine peu à peu la profusion du space-opera. Lorsque l’Empereur Belzébuth se pavane dans son vaisseau désert ou que des comédiens locaux déclament leur éminent combat contre le bien, L’Empire renoue avec un esprit bon-enfant et donne le sentiment grisant d’un pastiche récréatif.
Seulement, là où l’œuvre de Dumont s’est créée jusque-là autour d’équilibres fragiles, entre naturalisme et spiritualisme, entre absurdité et tragédie, entre acteurs professionnels et amateurs, elle ne mène pour la première fois à aucune grâce. Incapable d’harmoniser ses deux axes, le cinéaste botte en touche et joue de la rupture comme d’une fin en soi. Le montage alterné, passant d’un monde à l’autre, impose un éparpillement indigeste et un certain aveu d’échec : Dumont ne sait quoi faire de la science-fiction.
Le genre est réduit à une approche trop littéraire, amoncellement de discours sentencieux ou de thématiques déjà vues plus subtilement dans ses films précédents, et dissimule sous son prosaïsme une idéologie crasse, réduisant l’humanité – la modernité par la même occasion – aux instincts les plus primaires. Dumont a beau adopter le regard d’un enfant comme couverture, son Empire ne fait pas illusion quant à l’essoufflement interne d’une telle formule, au mieux maladroite ou au pire complètement cynique. Gageons que le maelström final, unique moment de suspension au cœur de ce spectacle boursouflé, soit l’annonce d’un nouveau départ pour cet auteur qui vaut mieux qu’un banal “C’est tout”.
L’Empire / De Bruno Dumont / Avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini / 1h51 / France / Sortie le 21 février 2024.
Etrangeté des ressentis, j’ai eu une perception totalement inverse et davantage en symbiose avec les propos mêmes du réalisateur. En effet, pour moi, aucun cynisme n’est à l’œuvre, aucune rupture mais au contraire une rencontre, une déférence aux codes narratifs d’un genre que Dumont ne méprise nullement. On pourra éventuellement trouver que les thèmes ici exposés l’ont été plus subtilement par le passé mais ne boudons pas cette audacieuse fusion à la bascule du naturalisme et du féérique car elle participe de ce que le réalisateur a toujours cherché à faire : réenchanter le réel.
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