
D’abord, la mort. Une crise cardiaque du professeur Caselli, titulaire de la Chaire de philosophie à l’université de Buenos Aires. Fermeture à l’iris, effet récurrent du film marquant ses influences burlesques, puis nous voilà au cours de Marcelo Pena, bras droit du défunt, qu’il achève en convoquant Rousseau et sa méfiance à l’égard du progrès. La comédie dramatique (plus dramatique que comique), bien qu’écrite avant l’élection de Javier Milei, semble dès lors refléter un climat d’inquiétude partagée dans un pays en crise, empêtré dans un ultralibéralisme vorace. Une inquiétude qui touche particulièrement les milieux intellectuels et culturels alors que les ressources allouées aux universités publiques, en rapport avec le taux d’inflation, ont drastiquement diminué.
Mais en amont d’un écho politique qui recouvre tout le film, la référence rousseauiste plante un personnage timoré devant l’avenir, attaché à l’héritage de son mentor mais passif lorsqu’il s’agira de lui succéder. « Tu dois dire quelque chose », lui intime sa collège durant l’hommage au défunt, braqué par le professeur émérite Rafael Sujarchuk, revenu d’Allemagne pour convoiter la Chaire tandis que court la rumeur de son idylle avec l’actrice star Vera Motta. La lutte de pouvoir qui en résulte, entre le professeur ordinaire et dégarni, tenant de la vision de son prédécesseur, et le chercheur séduisant, à la pointe des questionnements contemporains, engendre des situations comiques incisives et originales, pourfendant le règne du cool et du superficiel, portés à l’échelle des mérites. Cela dans un cadre universitaire, perméable lui aussi au prestige de la star, qui figure métonymiquement toute structure politique.
Mais alors qu’on aurait pu s’attendre à un cruel et grisant jeu de massacre, le film peine à trouver son rythme et le conflit qu’il introduit se voit très vite reléguer à l’arrière plan pour le portrait d’un personnage pâtissant conduit par la force des événements à creuser son propre sillage, mêlé à une critique alerte du pouvoir et de sa phobie de la pensée libre. Ce virage de la comédie burlesque vers un drame tourmenté, quoiqu’inventif et signifiant – les mesquines rivalités s’essoufflant nécessairement contre l’ennemi commun – déçoit, faute d’une mise en scène assez forte pour en soutenir les enjeux. Et l’on se passerait volontiers des exégèses philosophiques placées ici et là (Rousseau donc, mais encore Hobbes ou Heidegger) à des fins explicatives, un peu lourdaudes et artificielles. Reste toutefois d’El Profesor la vague impression mortifère qui en émane, exprimant l’état culturel d’une Argentine menacée urgemment de marasme.
El Profesor / de Maria Alché et Benjamín Naishtat / Avec Marcelo Subiotto, Leonardo Sbaraglia, Julieta Zylberberg / Argentine / 1h51min / Sortie 3 juillet 2024.
très moyen donc !
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