
Matilde Landeta est une des (trop nombreuses) cinéastes oubliées du champ cinématographique international. Dans son troisième long-métrage, la réalisatrice mexicaine reste fidèle aux questions féministes qui sillonnent l’ensemble de son parcours.
Trotacalles, traduit en français par « rue des femmes perdues », ancre l’histoire dans le mélodrame. Le titre lui-même vient poser les jalons du genre en insistant sur la figure de la victime, courant vers une inéluctable fin tragique. On parle ici du destin de deux sœurs que tout oppose : Elena, dont le mariage s’il n’est heureux, est au moins « pratique » ; elle a conscience de mener une vie mondaine grâce à son richissime mari, un banquier du nom de Faustino. Et Maria, son aînée, se prostituant pour le compte de son compagnon et maquereau, Rodolfo. Les frangines, qui ne s’adressent plus la parole et se vouent une haine féroce, voient leur chemin se croiser lorsque Rodolfo séduit Elena pour profiter de sa fortune.
Le plan qui ouvre le film – peut-être l’un des plus originaux – s’attarde sur les jambes dénudées des jeunes filles de rue, battant le trottoir de leurs silhouettes. Parfois, celles-ci rencontrent d’autres jambes, masculines cette fois, avant de disparaître dans la nuit. Le propos de Trotacalles est dévoilé là, dans cette métonymie où les femmes sont réduites à leur chair, où les hommes passent et les emportent comme des objets. C’est dans cette dégradation que Maria et Elena se rejoignent : toutes deux endossent leur rôle d’épouse ou de prostituée, et y sont soumises. Elena a bien conscience que son mari l’utilise comme faire valoir pour amasser de l’argent. Celui-ci ose affirmer que tout l’avantage qu’il tire de son union à une jolie femme, réside dans le fait de pouvoir l’exposer au public. Répliques cinglantes, remplies d’ironie, qui n’en dénotent pas moins un regard critique porté par la réalisatrice sur le patriarcat.
Lorsque Elena se voit courtisée par Rodolfo, le triangle amoureux et son implacable logique reposant sur l’ironie dramatique se mettent en place. Landeta joue avec les informations que le spectateur omniscient obtient avec un temps d’avance jusqu’à ce que les personnages le rattrapent et révèlent dans des dialogues trop appuyés le fait qu’ils étaient au courant depuis le commencement. Cela ressemble au jeu du « je sais que tu sais que je sais »…
Malgré tout, Trotacalles marque par son traitement des personnages féminins, dont les trajectoires différentes en apparence (voir en cela le contraste des décors dans lesquels elles évoluent) en viennent à se confondre : qui, de l’amante fortunée, ou de la belle de nuit fauchée, vend son corps ? Qui est la plus débauchée, la plus animée par l’appât du gain ? En imposant un traitement d’égalité à ses protagonistes, Landeta laisse planer le doute, et surtout, critique tout un système de domination masculine en place.
Trotacalles / De Matilde Landeta / Avec Miroslava, Elda Peralta, Miguel Ángel Ferriz,Ernesto Alonso / Mexique / 1h38 / 1951 / Festival Lumière 2024.