Aimer perdre

Actuellement au cinéma

© UFO Distribution

Beaucoup de films se plaisent à tromper le spectateur sur le programme qu’ils s’apprêtent à dérouler, mais Aimer perdre n’est pas de ceux-là, s’ouvrant à la faveur d’un long dézoom tourbillonnant et d’un titre pailleté, annonçant tous deux l’énergie d’une entreprise en marge. Cette belle introduction amorce surtout le point d’ancrage du dispositif esthétique, non pas vouée à tourner à vide autour d’une hystérie générale, mais centré sur une présence. Cette figure, monopolisant en gros plan les premières secondes du film, est Armande Pigeon, jeune Bruxelloise sans le sou, allant de galère en galère.

Jack Janvier dans Tête de plouc, désormais Armande Pigeon : les frères Guit se plaisent semble-t-il aux pseudonymes outrés. Celui d’Aimer perdre a néanmoins plus de sens et encapsule la littéralité poétique d’un tel projet. Armande est effectivement un pigeon. Elle est volatile, fuse entre les lieux et les protagonistes. Elle est clandestine, incapable de trouver pied-à-terre, et opportuniste, volant à tour de bras ses connaissances. Si Armande aime finalement tant perdre, c’est qu’elle ne peut se résoudre – comme cet oiseau des villes – à la fixité.

Derrière la trivialité, les deux cinéastes dissimulent ainsi un fort projet figuratif, qui transforme constamment son protagoniste en parasite social et spatial. Armande est de trop et agit comme une force contraire aux autres mouvements voisins. La subtilité d’un tel dispositif burlesque naît néanmoins dans le déploiement d’une galerie de personnages secondaires presque aussi forcenés que notre anti-héroïne, agissant en réaction à celle-ci, mais sans retenue aucune. Le plaisir vient alors d’une question simple, qui nourrit d’entrée de jeu chaque séquence : comment Armande, agente du chaos, va-t-elle bouleverser l’espace mis en place et allumer l’étincelle de folie de ses confrères ?

Ce jeu ludique et enfantin n’est pas sans rappeler le récent cinéma d’Antonin Peretjatko, incarnant, avec les frères Guit, une nouvelle vague de cinéastes burlesques dont la filiation se situe davantage du côté de Jacques Tati, dans la multiplication du « personnage électron libre », que dans l’individualité de Keaton ou Chaplin. Armande Pigeon est ainsi une pure créature de cinéma, mi-Hulot, mi-oiseau, condamnée à perturber son monde et, in fine, à reprendre toujours son vol, son éternelle quête de mouvement.

Aimer perdre / de Harpo Guit et Lenny Guit / Maria Cavalier-Bazan, Melvil Poupaud, Catherine Ringer, Michael Zindel, Chloé Larrère et Axel Perin / 1h25 / France, Belgique / Sortie le 26 mars 2025.

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