Rencontre avec : François de Brauer

la_loi_des_prodiges_francois_de_brauer_2018_c_victor_tonelli_.jpg
© Victor Tonelli

Dans La Loi des prodiges, François de Brauer incarne seul et minutieusement une panoplie de personnages pour nous raconter l’histoire de Rémi Goutard, un député qui cultive une haine sans pareil des artistes. Un spectacle merveilleux porté par un comédien épatant, qui affichait complet à Paris au théâtre de La tempête le mois dernier et entame actuellement une tournée en France.

Est-ce qu’il y a beaucoup d’éléments autobiographiques dans le spectacle ? 

Fatalement quand tu écris, il y a toujours une part autobiographique pour que cela soit ancré dans quelque chose d’intime, même si tu pars dans des univers délirants. En plus, le seul en scène c’est très particulier, c’est exposer sa sensibilité radicalement. Si tu ne fais pas ça en tant qu’auteur et interprète, tu passes un peu à coté de l’exercice du seul en scène je trouve. J’ai improvisé par rapport à ces codes autobiographiques parce que j’ai été un spectateur totalement idolâtre de Philippe Caubère. C’est un acteur et auteur qui travaille sur ce mode la, il joue beaucoup de personnages tout en racontant sa vie. Alors assez rapidement, j’avais envie de me démarquer de ce maître et de raconter une histoire qui ne soit pas la mienne. Vraiment créer des personnages, les caractériser, structurer une histoire sur une longue période de vie. J’avais envie de ce côté épopée et biopic. Ça me paraît être la convention d’aujourd’hui pour faire un seul en scène d’être dans l’autobiographie. C’est un peu une facilité, dans le sens où tu te débarrasses du soucis d’imaginer. Moi je n’avais pas envie de me faciliter le travail et même, au contraire, je voulais me compliquer la tâche en me disant que j’allais imaginer toute une histoire. J’avais aussi des prétentions d’écriture de fiction depuis longtemps que je n’arrivais pas à mener à bien. Mais je crois que c’est parce que je n’avais pas encore trouvé ma manière d’écrire, qui se fait en jouant. 

Tous les personnages s’inspirent-ils de personnes réelles ?

Ils s’en inspirent toujours. Je pense qu’un personnage vraiment efficace il faut qu’il soit à cheval entre un archétype et sa propre personnalité. Moi je me projette dans tous ces personnages aussi, j’ai une part d’artiste vaniteux à la Duflou, d’artiste pathétique comme le clown et de rationnel maladif à la Goutard. C’est très important car si je vois qu’un personnage est totalement extérieur à moi, je ne peux pas bien le jouer et le rendre intéressant. Donc au final ça s’inspire de gens, d’archetypes théâtraux et un peu de moi ! 

Comment se passe ce processus de création d’un personnage?

Il y avait toute une période pendant laquelle j’improvisais et je m’interdisais d’avoir un fil rouge, je ne voulais surtout pas avoir de structure établie. Comme un sculpteur qui aurait besoin d’un énorme morceau d’argil pour pouvoir commencer à tailler dedans, j’avais besoin de cumuler de la matière. Dès que j’avais une pulsion d’improvisation, ce qui peut passer par un personnage, une idée de situation ou même un type que je croise dans la rue et qui m’inspire, alors j’improvisais et je filmais. J’archivais tout puis je regardais et je repérais ce qui était intéressant. Ensuite j’écrivais des scènes et j’allais en parler avec Louis Arene, qui a aussi été très important dans la création du spectacle.

Les personnages continuent-ils de changer au cours des représentations ? 

Oui les personnages évoluent et c’est drôle parce que ça fonctionne comme une troupe ! Parfois le personnage : c’est son soir ! Il est en forme et il va être plus flamboyant que les autres. Un autre soir un personnage va être plus éteint par exemple. Un spectacle c’est très écrit, ça bouge très peu mais mine de rien ça change tout le temps! Que ça soit en fonction des réactions, de l’énergie que donne le spectateur ou de la mienne. Je pense que c’est pour ça que les gens ne s’ennuient pas en revenant voir le spectacle. Donc ça évolue malgré que cela demande une technicité assez rigoureuse. D’ailleurs ça n’évolue qu’à ce niveau là car le texte lui a très peu changé depuis 2014. Je pensais que je le ferai évoluer mais en fait je me suis rendu compte que ça existait réellement en tant que pièce. C’est à dire que comme je l’ai écrit il y a quatre ans, quand je l’interprète c’est comme si j’interprétais un auteur qui n’était plus complètement moi. Donc je la défend du mieux possible et en même temps je la redécouvre après l’avoir crée. 

D’où est venue cette envie de tout jouer ? 

Moi je suis un infernal cabot et mon moteur premier c’est le jeu. Quand je faisais des pièces de répertoire, j’avais encore un appétit en sortant de scène. Alors que quand j’ai joué ce spectacle pour la première fois, j’ai eu la sensation d’être enfin rassasié de jeu. Je suis sorti de scène et j’avais joué tout ce que je pouvais jouer. J’avais besoin de m’épuiser et avec ce spectacle je ne me rate pas !

Le spectacle est particulièrement physique et tu alternes entre les personnages très rapidement, as-tu besoin d’une préparation particulière avant de jouer ?

J’ai besoin de m’échauffer, pas à faire les personnages, mais physiquement. Ariane Mnouchkine disait qu’il faut s’échauffer pour que « le corps soit à la hauteur de l’imaginaire ». Je ressens ça de manière très forte quand je ne m’échauffe pas, mon imaginaire va beaucoup plus vite que mon corps. Pour vous faire visualiser tout ça il faut que je le visualise aussi, du coup il faut que mon corps soit réceptif et réactif. Donc ma préparation c’est uniquement de la détente et de l’ouverture pour que tout soit fluide. En fait, même si c’est très dynamique, il faut imaginer qu’à l’intérieur il y a un narrateur, qui doit tout maîtriser. Ce narrateur, il doit être très calme pour pouvoir entrer dans chacune des figures parce qu’il n’y a pas de continuité d’état. Quand tu joues, en général tu es dans un état, ton partenaire est dans un autre état et les deux se confrontent. Avec ce spectacle, je ne peux pas plonger dans un état parce que je fais différents personnages qui sont dans des états différents. Donc finalement, ce qui les lie c’est une entité au centre. C’est un narrateur qui doit être très détendu pour passer d’un personnage à l’autre. 

As-tu toujours voulu être comédien ? 

Oui, ça a été plutôt clair assez vite. J’ai commencé à faire de l’improvisation et ça s’est rapidement déterminé. Ce qui est marrant c’est que la raison du coté hybride de ce spectacle c’est que quand j’étais adolescent j’étais fasciné par les humoristes. Pour moi, le métier d’acteur il était lié au métier d’humoriste, je ne voyais pas d’autre conception du métier de comédien. Ensuite, j’ai fait la classe libre du Cours Florent, puis le conservatoire national et j’ai découvert un autre monde qui m’a tout autant passionné. Une nouvelle exigence dramaturgique, un autre rapport au jeu et des auteurs comme Shakespeare et Tchekhov qui sont devenus des idoles, même si j’avais toujours mes idoles d’ado comme Jamel ou les inconnus! Avec ce spectacle j’ai voulu affirmer complètement cet amalgame, ce carrefour où je me trouve et que j’ai mis un peu de temps à assumer. Parce que c’est vrai que le conservatoire est assez élitiste, il y a un esprit de sérieux auquel il ne faut pas trop déroger et j’ai du un peu m’en extirper pour créer ce spectacle. Me dire que si les gens qui m’ont formé au conservatoire regardaient mon spectacle et se disaient : « c’est un peu con son truc », ce n’était pas grave !

Du coup l’envie d’écrire et de mettre en scène est venue après ? 

L’envie de mise en scène j’ai l’impression de ne l’avoir jamais vraiment accomplie. Tout ce que tu vois c’est tellement lié à l’écriture, tout est amalgamé. Pour moi l’écriture, le jeu et la mise en scène ça constitue l’écriture d’un spectacle. Avant La loi des prodiges j’avais déjà écrit des pièces en collectif. A la sortie du conservatoire avec Louis Arene et Benjamin Lavernhe on a fait un spectacle en bourgogne sur les places de villages. Comme on avait très peu de temps pour répéter, chacun travaillait dans le domaine où il était le plus efficace. Je me suis rendu compte que j’étais assez bon pour la structuration d’une histoire, la répartition des scènes et la réécriture à partir des improvisations. Mais j’aimerais bien un jour essayer de monter une pièce de répertoire même si je ne suis pas sûr d’avoir la fibre de metteur en scène… J’ai des idées de méthodologie de travail mais je n’ai jamais d’idées esthétiques quand je lis une pièce, je suis pas un esthète, contrairement à Louis par exemple. Ça rejoint le problème de Goutard, cette difficulté à visualiser et c’est pour ça que ce personnage me touche. Son problème c’est qu’il n’arrive pas à se laisser aller à des formes ou des couleurs. Il cherche toujours un concept rationnel auquel il pourrait se raccrocher et c’est vrai que je suis un peu pareil. 

Pourtant je trouvais que le spectacle était quand même très visuel et pouvait vraiment faire penser à un film?

Oui c’est tout à fait ça. Peut-être que je me trompe car je ne connais pas suffisamment l’histoire du théâtre, mais pour moi c’est l’invention de Caubère. Quand je l’ai découvert, je me suis dis c’est un type qui a intégré l’imaginaire et la technique cinématographique à une écriture théâtrale. D’ailleurs j’ai vu un interview où Caubère disait qu’à la base il voulait faire un film sur son histoire et qu’en racontant son film on lui a dis que c’était génial quand il faisait seul tous les personnages. Du coup, m’inscrivant dans la continuité, je me suis mis à improviser à la manière de Caubère, tout en essayant quand même de m’en détacher. J’ai voulu aller plus loin dans la démarche scénaristique et trouver des outils pour construire une histoire et en faire une vraie épopée. Donc oui, les références cinématographiques sont aussi importantes que celles théâtrales. Il y a en plus l’aspect de méthodologie scénaristique qui a été très importante pour moi et qui m’a donné plein d’idées. Comme ça ne s’adaptait pas au cinéma mais au théâtre, je transformais ces idées. Alors quand tu lis dans un livre de méthode scenaristique qu’il est toujours important de prendre en compte le temps qu’il fait et que tu reportes ça au théâtre, c’est génial! Je pouvais me dire que telle séquence allait commencer dans un grand soleil et finir dans la pluie pour appuyer le drame de leur séparation et ce baiser sous la pluie. Ça par exemple je n’y aurais jamais pensé si je n’avais pas lu ces méthodes de scénario. 

Tu as aussi travaillé sur des vidéos pour la chaîne comédie +, pourquoi avoir choisi d’utiliser des accessoires pour l’image et pas sur scène ?

C’est la magie de ce théâtre la, le plateau est totalement nu donc tu peux aller où tu veux. A partir du moment où tu ajoutes, ne serait ce qu’un accessoire, tu te compliques la tâche. On y avait pensé mais j’avais envie d’assumer que tout était mimé, que tout repose sur l’imaginaire du spectateur. C’est uniquement de la suggestion et le spectateur complète le tableau par son imaginaire, chacun voit le canapé ou le papier peint qu’il veut. J’ai souvent des retours géniaux de gens qui me décrivent : « j’ai vu le papier peint comme ça ! ». Quand les spectateurs visualisent clairement un décors, moi en jouant je dois garder cette pertinence sensible du rapport entre les personnages pour leur remémorer ce cadre qu’ils ont vu et qu’ils puissent le voir à nouveau. Le théâtre c’est l’art de manipuler l’imaginaire des spectateurs et moi sur scène je distille des petites informations qui vont les éclairer sur le décors ou l’apparence du personnage. Alors qu’à l’image c’est très différent, tu donnes tout d’emblée, donc ce qui est interessant c’est ce qu’il se passe avec l’acteur ou la situation. Surtout au cinéma, on sait que l’on peut tout voir, donc on veut tout voir! Mais personnellement, j’adore ce qu’au théâtre on est obligé de déployer. C’est l’effort qu’on demande au spectateur que je trouve passionnant. Je fais un gros effort sur scène et j’en demande aussi un au spectateur, qu’il ne veut pas toujours faire d’ailleurs. Je trouve que c’est une sensibilité qui se perd un peu, ce désir de faire l’effort de l’imaginaire. On voit tellement d’images, de films qu’un acteur seul sur scène qui essaye de nous figurer des mondes avec du mime devient un peu dérisoire non ?

Pour conclure, est-ce que tu pourrais nous citer un artiste dont on ne parle pas assez selon toi ?

J’ai envie de te répondre Caubère, parce que c’est tellement lié à ce spectacle. On en parle beaucoup de Caubère mais peut-être pas assez dans la mesure où les gens ne se rendent pas bien compte à quel point son oeuvre est importante en matière d’écriture. Je me souviens quand je l’ai découvert on ne me parlait que de sa virtuosité d’acteur alors que moi je me focalisais sur son écriture que je trouvais tellement puissante. Ce spectacle n’aurait pas existé sans cette référence. Mon imaginaire a fait le gros du boulot mais c’est grâce à Caubère que j’ai vu que c’était possible. Et sinon pour un autre artiste, je dirais bien mon pote Louis Arene. C’est un acteur qu’on ne connait pas encore assez mais qui est immense. Pour moi c’est l’acteur qui peut rivaliser de virtuosité avec Caubère !

Propos recueillis par Chloé Caye le 30 avril 2018, à Paris.

La Loi des prodiges / De et avec François de Brauer / En tournée dans toute la France du 26 mai au 8 juillet 2018.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :