Rencontre avec : Ludovic-Alexandre Vidal et Julien Salvia

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Julien Salvia et Ludovic-Alexandre Vidal

Ludovic-Alexandre Vidal et Julien Salvia sont un duo français respectivement auteur et compositeur de théâtre musical. Ils ont travaillé sur les spectacles Raiponce et le Prince Aventurier ou La Petite Fille aux Allumettes, tous deux nominés aux Molières 2016. Leur dernière création, Les Aventures de Tom Sawyer, se joue actuellement au théâtre Mogador, à Paris.

Comment cette passion de la comédie musicale vous est-elle venue ?

J : Tout d’abord en en écoutant beaucoup. Il y a eu l’avènement de la comédie musicale lorsque j’avais quinze ans, avec Notre Dame de Paris par exemple, et ce genre m’a vite passionné. La dramaturgie dans la musique, c’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. J’ai rencontré Ludovic à l’Ecole Centrale de Paris, l’école d’ingénieurs dans laquelle nous étions, que je voulais d’ailleurs faire aussi parce qu’il y avait un club de comédie musicale! Ensemble on a écrit notre première comédie musicale à vingt ans, ça s’appelait Révolution.

Certains compositeurs vous ont-ils particulièrement inspiré ?

J : Bien sûr, Ashman et Menken (Aladdin, la Belle et la Bête, Little Shop of Horrors) est un duo qui nous touche énormément. Après évidement Boublil et Schönberg car ce sont les français qui ont réussi à aller en Angleterre en écrivant Les Misérables, qui est une comédie musicale qui a toujours eu un grand impact sur moi. Musicalement il y a aussi toutes les comédies musicales de l’âge d’or, auxquelles on rend hommage dans Tom Sawyer, c’est à dire les spectacles de Jerry Herman (Hello, Dolly!) ou de Jules Styne (Gentlemen prefer blondes, Funny Girl), qui ont été de très fortes inspirations.

L : En matière de textes je dirais vraiment Ashman et Sondheim (West Side Story, Company, Follies). J’étais aussi un grand adepte de Lloyd Webber, d’immenses découvertes pour moi ont été Le Fantôme de l’Opéra et Sunset Boulevard, qui reste probablement l’oeuvre qui m’a le plus touché. 

Pourquoi vous êtes-vous tournés vers la comédie musicale et pas simplement la musique ou le théâtre séparément ?

J : Je dirais que c’est la théâtralité de la musique, je trouve ça génial de raconter une histoire en musique. Elle prend une tout autre dimension quand on sait ce qu’elle raconte dans un contexte particulier. Une chanson peut plaire dans un premier temps mais quand on la comprend dans son contexte, elle prend une plus grande dimension. Dans une comédie musicale, on essaye de trouver une couleur, autant musicale que textuelle, puis on peut partir à fond dans cet univers, c’est super ! On peut réellement se permettre d’explorer complètement cet univers, le bord du Mississippi et ce coté très traditionnel de l’Amérique en 1840 dans Tom Saywer par exemple.

L : J’adore la complétude de cet art, toutes les disciplines se mélangent. Ce n’est pas spécifique à la comédie musicale, c’est la même culture qu’on retrouve au niveau du théâtre, du cinéma ou des séries mais c’est ce genre d’écriture qui nous parle. 

J : Il y a aussi cette idée que tous les personnages de comédie musicale sont des personnages passionnés. Il y a plein de gens qui se posent cette question : « Pourquoi les personnages se mettent ils à chanter ? » La réponse est que l’émotion devient trop forte pour simplement parler mais cela ne peut être le cas que si les personnages sont passionnés et qu’ils expriment leurs émotions sans filtre.

Beaucoup considèrent cet aspect comme irréaliste, qu’avez-vous à répondre à cette critique ?

J : Ce n’est pas étonnant que les américains aiment plus cet art que les français. Nous sommes beaucoup plus inhibés par rapport à nos émotions que les américains. Je ne m’en rends compte qu’en te le disant maintenant mais en fait mais c’est assez culturel cette faculté de pouvoir s’exprimer et dire ses émotions tout haut. Ce n’est pas du tout français de dire ce que l’on ressent donc c’est vrai que ça peut gêner certain public, qui trouve ça indécent. 

L : Je pense aussi que beaucoup de comédies musicales possèdent une finesse d’écriture qui permet d’avoir plusieurs couches au delà du message immédiat. Les oeuvres sont souvent plus compliquées qu’il n’y parait et certains s’arrêtent à la première lecture sans vraiment s’intéresser à l’oeuvre complète ou son écriture. Il y des styles d’écriture qui sont tirés par l’émotion, ce qui peut-être considéré pour certaines personnes comme un ressort assez facile. Mais la comédie musicale est un genre qui est tiré par l’émotion pour amener à réfléchir plutôt qu’un genre qui amène à réfléchir pour te déclencher des émotions. 

Quelles sont les différentes étapes de la création d’une comédie musicale ?

L : Alors d’abord pour l’écriture, il faut se mettre d’accord sur le sujet, ça peut se faire de deux manières :  nous en tant que groupe créatif si l’on porte le projet, ou directement avec une production quand on est dans le cadre d’une commande, comme pour Tom Sawyer. Une fois qu’on est d’accord sur le sujet, chacun on se documente. Julien s’intéresse beaucoup aux musiques de l’époque et de la région. Dans mon cas, pour Tom Sawyer par exemple, j’étais revenu sur les critiques du livre de Mark Twain lors de sa sortie pour essayer de comprendre vraiment quel avait été son impact. Cela te donne un phrasé et une imagerie qui est très interessante à retravailler après dans ton écriture. L’étape qui suit, celle qui prend le plus longtemps, c’est comment raconter et structurer cette histoire. Une fois qu’on sait où il faut écrire les chansons et ce qu’elles racontent, Julien part pour écrire les musiques et moi je développe les scènes de dialogues. On fonctionne dans le sens où Julien écrit d’abord les musiques et je mets les paroles après. 

J : Mais cela arrive que parfois je propose des choses à Ludovic sans avoir complètement fini la structure de la chanson et il me guide à partir de ça. 

L : Et parfois sa musique va me faire retoucher ce que raconte la chanson, c’est vraiment un aller-retour. On est très exigeant avec nous-mêmes et entre nous. Après quinze ans à travailler ensemble tu sais que tu peux tout te dire, donc on s’engueule tout le temps mais pas sans raison ! Après, c’est la rencontre avec toute l’équipe créative et le metteur en scène, tout particulièrement, qui est notre interlocuteur premier, David Rozen pour Tom Sawyer, avec qui on a une collaboration très étroite. Ensuite il y a évidemment le chorégraphe, l’orchestrateur et le scénographe qui sont aussi incroyablement importants, tout est interlié.

Comment avez-vous trouvé ces différents collaborateurs ?

J : Ça a pris du temps, avec notre premier spectacle on a eu la chance de rencontrer les Double D Productions par le biais d’amis qui nous on mis en contact. On a commencé dans un tout petit théâtre avant qu’ils n’ouvrent le leur. On a la chance d’avoir ce même amour du genre pour les mêmes raisons.

L : Ce n’est qu’un métier de rencontres, c’est pour ça que ça prend du temps. À l’époque on a commencé dans un petit théâtre de soixante-dix places et c’était magique, tout comme ça l’est aujourd’hui d’être au théâtre Mogador. Il faut juste découvrir les gens avec qui tu as envie de travailler et te créer ta propre famille de travail. Avec eux tu affines ton genre et tu crées ton réseau, ça prend du temps bien sûr, mais comme dans n’importe quel métier.

J : On a fait nos armes en école, avant même de trouver une production, on avait déjà écrit deux spectacles en amateur. Puis tu te rends compte qu’avec l’aide des bonnes personnes tu peux toujours t’améliorer sur tout. 

L : C’est ça qui est « vivant » dans le spectacle vivant, c’est qu’on retouche en permanence même des choses qu’on a faites il y à des années. Ce qui est intéressant dans ce genre c’est de trouver cette liberté dans un ensemble de contraintes.

Quelles sont les comédies musicales que vous avez vu récemment et qui vous ont marqué ?

L : Pour moi Hamilton, que j’ai vu à Londres, était un choc et une déclaration d’amour à la finesse d’écriture et au millimètrage du genre. Il y a un aboutissement dans la lumière, dans l’écriture et dans la chorégraphie que j’adore. 

J : Il y a aussi Fun Home que nous avons vu à New York qui était magnifique, c’est vraiment une très belle pièce. 

L : Matilda aussi, était un gros choc ces derniers années.

J : Oui j’ai beaucoup aimé la pièce aussi mais la musique ne me touche pas vraiment. 

L : Oui je te comprends, mais dans l’exemple de millimètrage, qu’est-ce que c’est beau ! En France, j’ai aussi beaucoup aimé la production de Chicago, j’ai trouvé ça formidable.

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Les Aventures de Tom Sawyer se joue au théâtre Mogador jusqu’au 31 février 2019.

Propos recueillis par Chloé Caye le 24 novembre 2018, à Paris

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

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