Rencontre avec : Emin Alper

© Muhsin Akgün

Après un prix du meilleur premier film il y a une dizaine d’années à la Berlinale et trois longs-métrages depuis, Emin Alper revient avec Burning Days. À travers une intrigue faite de sous-entendus et une esthétique tout en contrastes, l’excellent thriller fait état de la corruption politique en Turquie. Le réalisateur nous en dit un peu plus sur l’origine du film, sur sa structure qui flirte avec les codes du polar, sur ces personnages si ambivalents et sur ce qu’il cherche à dénoncer.

Yaniklar est un village fictif, quels étaient les différents éléments qui devaient constituer ce lieu pour que l’histoire puisse y prendre place ?

Il n’y avait pas tant de choses à inclure. Le plus important pour moi était la sécheresse donc j’ai cherché un lieu particulièrement aride. Ensuite, il a fallu trouver le village. Beaucoup des villages en Anatolie se sont modernisés d’une façon assez laide donc je voulais un endroit qui ait gardé son apparence traditionnelle. Celui que nous avons trouvé était proche de Kayseri dans la Cappadoce. En revanche, les gouffres n’existent que dans la région de Konya donc tous ces plans là ont du être tournés autre part. 

Aviez-vous dès le départ l’envie d’alterner enjeux politiques et codes du thriller ? De brouiller la frontière entre vérité et mensonges, d’éliminer les repères moraux pour les personnages mais aussi pour les spectateurs ? 

En fait, l’idée initiale était de raconter une histoire sur la sécheresse en Turquie. Mon inspiration était la pièce d’Ibsen L’ennemi public. Je voulais mettre en scène un homme dont l’unique intérêt est de servir le peuple mais qui est déclaré l’ennemi du peuple par les politiciens manipulateurs. Après cette intrigue de base, les différentes lignes narratives me sont venues assez naturellement. Mais brouiller les pistes était effectivement une de mes volontés. Dans tous mes films, j’aime créer des lignes de transitions entre rêve et réalité, entre vérité et mensonges. Je veux créer des personnages inquiétants, dont les valeurs morales sont difficile à comprendre.

Beaucoup de vos personnages sont en effet très ambigus, très secrets entre eux mais aussi envers le spectateur. Quand vous écrivez les personnages avez-vous besoin de leur inventer une histoire plus complète ou êtesvous capable de les mettre en scène sans vous-même savoir grand chose d’eux ?

Etant donné que le film est un thriller et un néo-noir, je voulais que les spectateurs soient constamment sollicités, qu’ils ne puissent pas faire confiance facilement à mes personnages. C’est aussi une façon d’exprimer les insécurités, les suspicions et la solitude du personnage d’Emre. Je pense mieux connaître les personnages que les spectateurs mais il y a des détails que je ne clarifie pas, même pour moi lors de l’écriture. Tout simplement car parfois les comportements ne peuvent pas être définis, le personnage pourrait faire ci ou ça, c’est impossible à prévoir. C’est un peu comme dans la vie finalement : même pour vos meilleurs amis ou pour vous, dans certaines circonstances on ne peut pas savoir comment on réagira. Donc je ne suis pas déterministe quand j’écris mes personnages, j’aime laisser béantes certaines failles dans leurs âmes, des failles que personne ne sait comment remplir.

On retrouve de nombreuses scènes de diners dans vos films et, dans Burning Days, c’est une séquence majeure de l’intrigue : que révélez-vous de vos personnages en les filmant manger et boire ?

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Rencontre avec : Sophie Letourneur

© Denis Guignebourg

Trois ans après Enorme et son succès critique plus que mérité, Sophie Letourneur revient avec Voyages en Italie, une nouvelle comédie hors des sentiers battus, à l’ anti-romantisme rafraîchissant.

Comment est né le projet du film ?

Je l’ai écrit après un voyage en Italie que j’ai fait en 2016 avec le père de mon fils. Le voyage du film y ressemble beaucoup…

La plupart de vos films trouvent un ancrage dans une matière autobiographique, mais vous la remodelez de façon à mettre en lumière son caractère universel. Le générique d’ouverture de Voyages en Italie fait défiler des photos de couples anonymes en vacances en Italie. Était-ce une manière d’inscrire votre expérience individuelle dans une pratique finalement commune ?

Oui, je pense que c’est aussi pour cela qu’il y a un « s » à « Voyages » dans le titre. Quand on était en Italie, j’avais l’impression que tous les couples autour du nôtre faisaient le même voyage pour les mêmes raisons. J’ai trouvé ça drôle, et c’est ce qui m’a donné envie de raconter cette expérience.

Le pluriel du mot « voyage » est aussi un clin d’œil au Voyage en Italie de Rossellini, que le personnage de Philippe Katerine évoque avec Stromboli tandis que vous sillonnez la Sicile. Qu’est-ce que vous aimez dans le cinéma de Rossellini ?

Rossellini, c’est le premier cinéaste à mélanger des plans de documentaire avec des plans de fiction. C’est un pionnier pour cela. Et puis Voyage en Italie, c’est un film qui n’a pas été immédiatement compris à sa sortie. C’est un aspect que j’aime bien dans son travail : il fait de la recherche. Mais même si j’aime bien Voyage en Italie, je crois que j’ai une préférence pour Stromboli.

Dans une interview, vous disiez bien aimer « l’idée de revivre les événements, grâce à un film, pour comprendre ce [qu’il vous] est arrivé, pour que les choses ne s’arrêtent pas trop vite. » Est-ce que c’est pour cette raison que vous jouez dans certains de vos films ?

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Rencontre avec : Sam H. Freeman & Ng Choon Ping

Berlinale 2023

Sam H. Freeman et Ng Choon Ping lors de la conférence de presse à la Berlinale © Chloé Caye

Sam H. Freeman et Ng Choon Ping réalisent avec Femme un thriller électrisant. Ce premier film, sélectionné dans la catégorie Panorama à la Berlinale, traite de l’idée de travestissement quotidien et du danger d’être dévoilé pour ce qu’on est vraiment. Reprenant certains codes du film noir et dévoilant un génial sens du suspens, Femme est une virée nocturne torride et étouffante. À Berlin, nous avons rencontré les deux amis et cinéastes.

Sam vous avez surtout travaillé à la télévision et Ping plutôt au théâtre, qu’est-ce que vous vous êtes apportés mutuellement, en terme de compétences, dans la création de ce film ?

Sam H. Freeman : Effectivement, mon expérience en est une de scénariste à la télévision et Ping de metteur en scène au théâtre. Donc quand nous nous sommes retrouvés à vouloir faire un film ensemble, nous avons vraiment eu l’impression que nos capacités se complétaient. Aucun de nous n’a fait d’école de cinéma donc on a du faire appel à nos connaissances respectives quant à l’art de raconter des histoires. J’étais plus familier avec les façons d’écrire alors que l’approche de Ping est très visuelle. On a beaucoup appris l’un de l’autre et on a pu s’appuyer mutuellement sur les forces de l’autre. Au sein d’un duo, les deux peuvent essayer d’être identiques, ce dont je ne vois pas vraiment l’intérêt ou, au contraire, se dire qu’on est justement plus d’un parce qu’on a deux domaines de compétences complètement différents. 

Ng Choon Ping : En tant que scénariste, tu avais parfois du mal à trouver de quelle façon faire aboutir ta vision. À l’inverse, moi en tant que metteur en scène, je trouve difficile de construire en amont ce que j’avais envie de montrer à l’écran. Donc c’était une superbe opportunité pour nous de pouvoir contrôler tout du début à la fin : de la conception de l’histoire jusqu’à maintenant, être assis ici avec vous !

C’est un premier film très ambitieux, surtout sur l’aspect de la réalisation car quasiment tout le film se déroule de nuit. Pourquoi avez-vous tenu à raconter cette histoire de nuit et quelles étaient les difficultés principales liées à ce choix ?

N. C. P. : C’était très compliqué à tourner parce que ce sont surtout des extérieurs de nuit et nous avons tourné en juin. C’est l’été donc les nuits étaient courtes. Généralement on arrivait sur le plateau avant le coucher du soleil et il fallait attendre, puis, quand la nuit arrivait tourner très vite avant l’aube. Donc c’était un rythme assez difficile mais exaltant.

S. H. F. : C’était très important pour nous que ce soit un film de nuit, comme beaucoup d’œuvres qui nous ont inspiré : Good Times des frères Safdie ou les films de Nicolas Winding Refn. C’était un genre de référence et on a voulu s’y tenir. Ce que vous décrivez, l’ambiance secrète et dangereuse, éclairée au néon, c’est une immense part de ce qui constitue les thrillers. Et on était conscient qu’on voulait garder une scène de jour à un moment très spécifique. C’était efficace dans l’histoire seulement si les autres plans étaient de nuit, pour qu’on puisse avoir l’impression d’enfin reprendre notre souffle.

N. C. P. : La nuit, c’est le moment où tout peut arriver. Dans un bon thriller, la nuit c’est l’instant où tout tourne au chaos puis revient à l’ordre quand le jour se lève. Son esthétique nocturne, ses couleurs vibrantes c’était notre façon d’emmener Jules dans cet « autre monde » avant d’essayer de le ramener en sûreté. 

La nuit ne nous permet pas de reconnaitre les lieux filmés, et les gros plans font qu’il est également difficile de se repérer dans l’espace. Pourquoi avez-vous souhaité éviter toute forme de contextualisation spatiale ?

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Rencontre avec : Coline Albert

© Droits réservés

Last Dance, premier long métrage de Coline Albert, assiste avec douceur et intelligence la fin crépusculaire de Lady Vinsantos, drag queen célèbre dans le milieu underground de la Nouvelle-Orléans. La raison ? Son interprète, Vince DeFonte, ne supporte plus ce personnage qu’il incarne depuis des décennies et qui parasite sa vie. De la jeunesse à la cinquantaine, de l’Amérique à Paris, des rires aux cris, Coline Albert nous offre un documentaire saisissant, portrait d’un homme en crise et de son univers (trop ?) envoûtant.

Quelle a été la genèse de votre projet ?

J’ai rencontré Vince par hasard, aux champs de course, un espace très populaire à la Nouvelle-Orléans pour ses sorties et ses Bloody Mary. Il est arrivé après un spectacle, sans sourcil, avec quelques paillettes mais toujours son physique très masculin. Son aspect androgyne m’a tout de suite frappé. Il m’a raconté par la suite qu’il tenait une école de drag queen. Cela rejoignait mon projet de tourner un film sur la Nouvelle-Orléans et en particulier sur son énergie créatrice permanente.

Votre séquence d’introduction développe une atmosphère onirique, presque surréaliste, qui détonne un peu avec le reste du film, ancré dans le quotidien de Vince. Pourquoi ce choix de mise en scène pour ouvrir votre film ?

Le film découle d’un désir de faire un film sur la Nouvelle-Orléans, un endroit particulier où je devais tout de suite ancrer les personnages, leur univers. L’introduction présente une parade à Mardi Gras, une tradition locale, dont Lady Vinsantos était la Reine. Cette séquence souligne la présence de Vince dont le film épouse le caractère très sensible, sujet aux brusques changements d’humeur. C’est un homme très chaleureux, qui rigole beaucoup, et la minute suivante il montre un air plus sérieux, très grave, souvent triste.

Le microcosme autour de Vince est moins décrit comme une entreprise que comme une grande famille, alternative aux Drag Race notamment. Était-ce la raison principale derrière votre mise en scène très humaine, très proche des personnages ?

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Rencontre avec : Bastien Bouillon et David Depesseville

© Chloé Caye

Astrakan, le premier long-métrage de David Depesseville est un conte surprenant sur l’enfance. Construite autour du jeune Samuel, le cinéaste nous livre une œuvre éthérée, délicate et violente. Il collabore pour la premier fois avec Bastien Bouillon. L’acteur nommé cette année aux César, interprète le père adoptif de Samuel.

Astrakan file la métaphore animale : de par son histoire qui s’inspire de différents contes et son titre. Qu’est-ce qui vous a plu dans cet imaginaire ?

David Depesseville : J’aimais l’idée du conte pour parler de cet enfant qui doit trouver sa place dans une famille étrangère. Le titre Astrakan évoquait déjà le mouton noir ou le canard boiteux. Jusqu’à cette séquence finale d’ailleurs, qui file effectivement cette métaphore avec l’apparition de l’agneau et Marie qui devient enfin une vraie nourrice en lui offrant sa poitrine. 

Tout comme le conte enrobe de fantastique des histoires difficiles, la pellicule elle aussi adoucit les images. Pourquoi ce choix du 16mm ?

DD : C’est venu très tôt avec mon chef-opérateur : il nous est apparu que penser cette histoire en HD était bizarre. Il y avait quelque chose qui me gênait, j’avais peur que ce soit trop cru, trop défini. Cela pouvait virer plus facilement à l’obscène. Alors qu’en 16mm, avec son grain si particulier, ses contours un peu flous y’avait quelque chose de plus juste pour raconter les choses fortes que je voulais évoquer. 

Bastien Bouillon : Cela servait aussi à soutenir une esthétique quasi-atemporelle, que ce soit dans les costumes ou dans les décors ; rien n’est prononcé, rien n’est ancré. De la même manière que pour l’argent à un moment on croirait voir une pièce de 5 francs puis c’est un billet de 5 euros. Ce flou dont tu parles avec le 16mm est quelque chose que tu étires tout au long du film.

DD : Il ne fallait pas assigner le film à une condition et l’y enfermer. Il y avait quelque chose de réduit si on l’ancrait dans telle époque ou tel lieu. Je voulais échapper au film « social » comme on l’entend, la pellicule participait à ça.

Le cadrage élude effectivement les repères et s’attarde souvent sur le visages des comédiens, en très gros plans. Qu’est-ce qui vous a séduit dans le visage de Bastien Bouillon ?

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Rencontre avec : Héloïse Pelloquet, Cécile de France et Félix Lefebvre

© Louise Levasseur

Héloïse Pelloquet, forte de son expérience de monteuse (Petite Solange, À l’abordage) présente en ce moment au cinéma La passagère, son premier long-métrage en tant que réalisatrice. Dans le film, Cécile de France incarne une femme mariée dont les sentiments et les certitudes seront remis en cause par l’arrivée d’un jeune apprenti pêcheur, interprété par Félix Lefebvre. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec cette jeune cinéaste pétillante, ainsi qu’avec le très 2022 couple cinématographique qu’elle a imaginé.

Héloïse, vous avez une formation de monteuse. Réaliser et monter, ce sont finalement deux écritures différentes d’un film. Quel rôle avez-vous occupé dans le montage de ce premier long-métrage ?

Héloïse Pelloquet : Ce sont deux pratiques qui se complètent. Pour moi, le montage est une écriture, différente de celle du scénario, différente de celle du tournage, mais néanmoins l’une des dernières écritures du film. Forcément, je pense beaucoup au montage puisque c’est le moment où le film se sculpte. Sur La Passagère, c’est Clémence Diard qui était monteuse. J’avais toute confiance en elle et je l’ai laissée travailler. J’étais présente, mais pas plus que si je n’étais pas monteuse.

Dans quelle mesure le montage vous influence-t-il déjà lors de l’écriture ? Avez-vous toujours voulu réaliser des longs-métrages ou est-ce venu au cours de votre carrière de monteuse ?

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Rencontre avec : Nicolas Pariser

Nicolas Pariser façon Hergé © Culture aux Trousses

Entre la bande-dessinée franco-belge et le thriller hitchcockien, Nicolas Pariser crée avec Le Parfum Vert un mélange étonnant de divertissement et d’audace, d’espionnage pictural et d’inspiration rohmerienne. Nous avons eu le plaisir de le rencontrer avant la sortie de son troisième long-métrage, à l’affiche partagée par Vincent Lacoste et Sandrine Kiderlain.

Après Le Grand Jeu et Alice et le maire, plus tournés sur une exploration méthodique des milieux politiques, vous voici le réalisateur d’un thriller aventureux fortement inspiré de Tintin. Qu’est-ce qui a motivé un tel changement ?

Je n’avais pas envie de me répéter. Lorsqu’on fait quelque chose au cinéma, on reçoit ensuite plusieurs propositions dans le même style. On m’a proposé de faire des films sur des ministres ou des députés, ce qui ne m’intéressait pas. Il y avait comme un malentendu : le monde politique ne me passionne pas en soi. Je ne m’intéresse qu’à certains sujets politiques, mais pas dans leur généralité. J’ai alors essayé de sortir de cette impasse, et c’est à ce moment que je relisais Tintin et revoyais des films d’Alfred Hitchcock des années 30. J’y ai relevé une certaine parenté qui m’avait donné envie de faire du cinéma quand j’étais plus jeune. J’ai alors eu envie de réaliser un film dans cette veine, sans tomber dans la copie ou le pastiche. De la même manière qu’on parle aujourd’hui d’une « comédie musicale contemporaine », je me suis demandé si je pouvais réaliser une comédie d’espionnage contemporaine.

Pourtant, même dans ce film, la politique reste importante : les personnages discutant entre autres de l’identité européenne et de la gauche. Pour vous, toute œuvre doit-elle nécessairement s’approprier un questionnement politique, même s’il est relégué au second plan ?

Je ne peux pas m’en empêcher. Je dois aussi avouer que la moitié des discussions que j’ai avec mes amis portent sur la politique. Il me semble qu’à un moment donné, plus jeune, je parlais beaucoup de films ou de livres avec mes amis, mais c’était éreintant. Lorsqu’on était en désaccord, il fallait utiliser des arguments et le ton montait. À l’inverse, je ne me suis jamais disputé en discutant de politique, même en cas de différend. De plus, lorsqu’on parle de littérature ou de cinéma —malgré quelques exceptions—, cela sonne faux et je suis comme embarrassé. Soit les gens racontent des bêtises, soit la discussion est très érudite et donne une impression d’entre-soi. À l’inverse, puisque tout le monde parle de politique, tout le monde dit des bêtises. Qui n’a jamais vu des films de Dreyer ne peut en parler, alors que les discussions politiques ont quelque chose de démocratique. Quand bien même mes personnages se perdent dans leurs débats, cela rejoint la réalité où tout le monde a le droit de raconter ce qu’il veut sur n’importe quel sujet.

Les personnages de votre film sont très représentatifs : leur apparence, leur manière de se déplacer. Vous dites que Tintin vous a beaucoup inspiré, comment avez-vous ensuite choisi des acteurs pour correspondre aux personnages de l’œuvre d’Hergé ?

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Rencontre avec : Kate Dolan

© Madmoizelle

Après deux court-métrages, Kate Dolan réalise son premier long-métrage, mélangeant horreur irlandaise et exploration d’une maternité en crise. You’re not my mother est pour la première fois montré en novembre 2021, au festival fantastique de Toronto, où il finit finaliste du choix du public dans la sélection Midnight Madness. Après un an de tournée dans les festivals et de parution à l’étranger, le film paraît enfin sur nos écrans le 7 décembre, sous le nom de Samhain, aux origines d’Halloween.

Le titre Samhain, aux origines d’Halloween souligne le double aspect de cette fête. Quelle a été votre principale inspiration pour ce film ?

Les premières versions du film ne se déroulaient pas à Halloween, c’est quelque chose que j’ai ajouté au fur et à mesure. C’est surtout la mythologie du changeling (ndlr: créature d’apparence humaine laissé à la place d’un nouveau-né enlevé par des monstres) qui m’a relié à Samhain. Avant, c’était plus focalisé sur les pathologies mentales et la famille. Ensuite, j’ai commencé à faire plus de recherches sur l’histoire païenne et le folklore irlandais. J’ai compris qu’il fallait que ça se déroule à Halloween, lorsque des créatures d’outre-monde peuvent nous atteindre, car la frontière entre leur monde et le nôtre est très fine. Choisir cette période de l’année faisait sens, surtout en Irlande. À Halloween, on allume des feux de joie autour des maisons, ça amenait donc ce symbolisme de feu purificateur et c’est ce qui m’a définitivement convaincu de faire mon film sur cette fête.

Quelles ont été vos plus grandes influences ?

Je pense que L’Exorciste est définitivement une grande influence, de par la relation mère-fille et son approche du rythme. La première moitié est lente et pose cette une atmosphère dans laquelle on sent que quelque chose ne va pas sans être certain. Parce que Samhain adopte surtout le point de vue de Char, le personnage principal, un autre film très influent a été Rosemary’s Baby car c’est un film qui se construit à partir d’un seul point de vue, celui d’une femme. Il en a d’autres, comme le film coréen The Stranger qui reprend beaucoup de représentations du folklore japonais et coréen. Étant donné que mon film est beaucoup inspiré de l’histoire et du folklore irlandais,The Stranger était proche de ce qu’on voulait accomplir, surtout au niveau du ton.

Dans un autre entretien, vous aviez justement mentionné votre intérêt pour les films d’horreur asiatiques.

C’est sûrement parce qu’ils se concentrent plus à capturer un sentiment de malaise. Il y a le remake américain de The Ring, qui est complètement différent de la version japonaise. J’ai l’impression que des films comme The Ring ou Pulse n’expliquent jamais en détail ce qu’il se passe, ce que les personnages endurent : c’est plus à propos d’une sensation d’étrangeté. Aussi, de par leurs visuels, ces genres de film me troublent, ils me font ressentir quelque chose d’étranger à notre monde. En comparaison avec le style américain, plus focalisé sur l’action, l’intrigue, et qui s’assure que des choses vous sautent dessus tout le temps.

Samhain est à la fois un film de monstre plutôt explicite et un drame humain plus sensible et subtil. Avez-vous eu des difficultés à combiner ces deux aspects ?

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Rencontre avec : Hirokazu Kore-eda

© Louise Levasseur

Depuis le superbe Une Affaire de Famille, le cinéaste Hirokazu Kore-Eda a choisi de décentrer son intrigue du Japon. Dans La Vérité, il nous place aux côtés d’une famille profondément dysfonctionnelle mais touchante, dont Catherine Deneuve est le cœur, et les nerfs. Cette année, direction la Corée du Sud en compagnie de Song Kang-Ho (récompensé par le prix d’interprétation à Cannes en mai dernier), chef d’une famille recomposée ou plutôt, recousue. Entre chronique familiale et road-movie, Les Bonnes étoiles est un film dans lequel l’humour n’a d’égal que la tendresse.

Votre œuvre est innervée par le motif de la famille, chacun de vos films proposant une variation sur ce thème central, avez-vous toujours le sentiment qu’il y a davantage à explorer sur ce sujet ? Qu’il reste encore quelque chose que vous n’avez pas cerné au milieu du nœud de complexité qui lui est inhérent ?

À vrai dire, je n’ai jamais le sentiment de faire la même chose, ou bien de faire un film sur la famille à proprement parler. Je ne fais jamais un film pour répondre à la question « qu’est ce que famille ? ». Je crois plutôt que la famille est le réceptacle, le socle à partir duquel je pars pour raconter d’autres histoires. Bien sûr, ces questions ont surtout commencé à me travailler quand je suis moi-même devenu père, c’est à ce moment-là que j’ai réalisé Tel père, tel fils. Dans les films antérieurs à celui-ci, j’avais pour habitude de prendre le point de vue de l’enfant et à partir du moment où je suis devenu père et j’ai perdu mes parents, mon regard à évolué. Même quand on traite d’un thème identique, notre perception et la façon dont on s’approprie ces questionnements changent. J’ai comme l’impression d’avoir comme une grande boîte avec des petits jeux de construction à l’intérieur qui, à force de s’assembler, dessinent une forme, mais au départ je ne sais jamais ce que ça va donner. Il y a toujours des découvertes. L’intention du film, je ne la découvre qu’en le faisant et c’est ce qui me permet de rester toujours autant impliqué et intéressé par ce que je fais. C’est ce qui me motive à continuer. Quand ma place dans la famille changera à nouveau, probablement que mon regard changera encore.

Les différentes personnes avec lesquelles vous tournez forment également une famille, dont vous êtes le noyau. Vous dîtes d’ailleurs que certains de vos films vous ressemblent, et que d’autres ressemblent à des membres de votre équipe. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les dynamiques de travail au sein de cette famille de cinéma ?

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Rencontre avec : Henrika Kull

Réalisatrice allemande, Henrika Kull était à Paris à l’occasion de la sortie de son deuxième long-métrage, Seule la joie. Nous avons pu la rencontrer et l’interroger sur cette histoire d’amour atypique entre deux travailleuses du sexe dans une maison close berlinoise.

Le film se déroule dans une maison close. Pourquoi avez-vous été attirée vers ce décor particulier ?

J’ai fait des études de sociologie et, en tant que sociologue, on est toujours intéressé par différents milieux. Ce n’est pas pour éprouver des sensations fortes, mais pour me rapprocher de ces gens, pour leur parler, pour essayer de comprendre un processus de stigmatisation à la fois très élémentaire et très complexe. Mon premier film était un court documentaire sur une maison close et après j’y suis revenue, pendant des années. L’endroit m’intriguait. Je ne cherchais pas à y trouver une histoire, mais quand j’y étais, je me disais que cet endroit devait figurer dans un film.

Comment travaille-t-on avec des acteur.rice.s au milieu d’un décor réel, c’est à dire avec en arrière-plan des non pas des figurants mais des personnes qui font leur travail ?

C’était un premier rôle pour les deux. Katharina, l’actrice de Sascha, avait déjà joué, mais jamais dans un long-métrage. En général, j’aime travailler avec des gens qui n’ont pas beaucoup d’expérience. On travaille ensemble sur la biographie des personnages, on va très loin dans leur histoire personnelle. C’est impossible de tourner de façon normale dans un environnement réel, avec des gens réels et toute une vie qui continue à se dérouler autour de nous. La façon de jouer est spécifique, très différente de ce que l’on trouve généralement dans un film de fiction.

Les corps représentés à l’écran sont différents de ceux que l’on a l’habitude de voir dans un film : Celui de Maria est tatoué, celui de Sascha, âgé par rapport aux standards de beauté de l’industrie. Même ceux des clients sont très variés. Qu’est-ce qui vous a donné envie de filmer ce genre de corps ?

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