
Il aura fallu près de vingt ans à Martin Scorsese et Robert de Niro pour trouver un projet digne d’une nouvelle collaboration. Ce projet c’est The Irishman, production Netflix qui met en scène Frank Sheeran (Robert de Niro), un camionneur qui croise le chemin de Russell Bufalino (Joe Pesci), un chef de la mafia italo-américaine. Comme il avait pu le faire dans ses films précédents touchant au même sujet (Casino, Mean Streets ou encore Les Affranchis), le réalisateur confronte un personnage initialement sensé et sensible à un environnement d’où découle une violence constante et banalisée. En devenant le bras droit de Bufalino, Frank se retrouve en effet plongé dans un univers ne répondant à aucune loi, véritable microcosme social ne fonctionnant qu’avec ses propres codes, règles et hiérarchies.
Le protagoniste devient alors l’unique intermédiaire entre plusieurs clans et essaye, souvent en vain, d’apaiser les tensions existantes entre les différents hommes. Tâche qui s’avère plus compliquée lorsqu’il s’agit d’une affaire entre Bufalino, celui à qui il doit tout et Jimmy Hoffa (un Al Pacino en grande forme), un de ses amis et président du syndicat des travailleurs. Le film prend alors un tournant marquant lorsqu’on apprend que Frank, dont la voix-off nous guide, ne nous raconte pas simplement son histoire mais répond à une question sur son implication dans la disparition de Hoffa.
Basé sur le livre I heard you paint houses de Charles Brandt, The Irishman constitue un superbe objet de cinema, un bloc esthétique et narratif imposant (3h30 !) représentatif de la minutie de son créateur. Il laisse son personnage nous conter ce récit à son propre rythme et l’encourage à se perdre dans ses souvenirs, donnant lieu à un noeud de flash-backs qu’il démêle patiemment. À travers différentes étapes de la vie de Frank, un Robert de Niro rajeunit grâce à des effets numériques surprenants, le réalisateur dissèque la notion de loyauté. Prenant presque la forme d’un roman d’apprentissage, le film pousse son personnage à délaisser petit à petit toutes convictions morales jusqu’à un ultime dilemme. Cette question de loyauté vient se heurter à celle de libre arbitre, on ne peut plus ambiguë dans un milieu comme celui de la mafia où la part de responsabilité de chacun est impossible à déterminer en raison de cette loi d’obéissance implicite liée à un schéma relationnel très spécifique.
Cette approche permet à l’oeuvre de pousser le film de gangsters dans ses retranchements car Martin Scorsese, soixante-seize ans, pose ici la question de l’après. En béquilles et fauteuils roulants, ces hommes ont-ils atteint l’immortalité ? Loin d’achever son film sur l’image, plutôt récurrente, de mafieux héroïques, il s’interroge sur l’éphémérité de leur gloire et la culpabilité qu’elle induit. Avec le temps, leurs actions paraissent inefficaces, leurs règles archaïques et leur code d’honneur dépassé. Lorsque le groupe se dissout il ne reste plus que l’individu : Frank, un vieil homme qui a dédié sa vie à une cause qui paraît désormais futile. Silencieusement, le mythe du gangster s’effondre. Dans une dernière demi-heure déchirante, le réalisateur filme avec tendresse ces personnages, autrefois si craints et aujourd’hui si seuls. Avec The Irishman, il nous témoigne une dernière fois son admiration sincère pour ces figures exaltées et énigmatiques d’un monde révolu.
The Irishman / De Martin Scorsese / Avec Robert de Niro, Joe Pesci, Al Pacino / Etats-Unis / 3h30 / Sortie sur Netflix le 27 novembre 2019.
Un bloc imposant, de bonne qualité en effet, avec des acteurs qui savent être renversants. Mais doit-on louer ou blâmer Martin Scorsese pour son manque profond de renouvellement thématique, photographique et narratif? Je trouve cela plutôt décourageant.
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Scorsese sauve sa sortie après le défilé des trognes mafieuses au milieu desquelles on se perd. Le gadget numérique n’est pas non plus très heureux. Heureusement, il reste un point sensible dans dans les yeux de Peggy.
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