La Vie privée d’Elisabeth d’Angleterre

Rétrospective Michael Curtiz

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Bette Davis et Errol Flynn ©Warner Bros

La Vie privée d’Elisabeth d’Angleterre est l’un des très grands succès de la Warner des années 1930. Drame historique à gros budget et en Technicolor, il met en scène deux des plus grands comédiens de l’époque : Bette Davis et Errol Flynn. Pourtant, derrière le faste des costumes et l’attraction de sa distribution, cette tragédie d’époque cache un film austère et très verbal.

La romance est fictive : la reine Elisabeth et le comte d’Essex n’ont jamais été amants. La légende de leur passion, qui provient d’un présupposé don de bague, alimente les querelles d’historiens et offre surtout un matériau propice à la broderie d’une histoire mettant en conflit l’amour et les devoirs politiques. Le film se déroule en Angleterre, en 1596. Après avoir vaincu l’armée espagnole à Cadix, le comte d’Essex fait un retour triomphal à Londres. Tout le monde salue son exploit, sauf la reine Elisabeth, qui lui reproche de s’attirer une gloire personnelle au lieu d’agir pour l’intérêt du Royaume. Une réaction surprenante de la part de celle qui l’aime, actant les contradictions qui l’habitent : entre son devoir de reine et ses sentiments personnels, il faudra choisir. Toute la tension qui anime la relation des personnages s’origine dans un basculement entre la volonté d’être proches et la nécessité de s’éloigner.

Après plusieurs films d’aventures (Capitaine Blood, Les Aventures de Robin des Bois), Michael Curtiz retrouve Errol Flynn pour ce drame en huis clos adapté d’une pièce de théâtre de Maxwell Anderson, qui avait connu le succès à Broadway. Le propos est simple : le pouvoir est un barrage à l’amour, la vie privée d’Elisabeth ne peut pas exister à côté des exigences auxquelles sa place lui ordonne de ne pas déroger. Si le film réunit une distribution prestigieuse – parmi les seconds rôles surnage Olivia de Havilland en dame d’honneur interruptrice de lettres d’amour, et l’on remarque Vincent Price dont c’était le deuxième rôle au cinéma – et connaît un succès immense à sa sortie, il surprend avant tout par sa froideur et son refus de privilégier les scènes grandioses. Au contraire, il prend le parti du théâtral. La reconstitution semble parfois un peu figée lorsqu’on quitte le face-à-face entre la reine et le comte, mais l’essentiel se joue, heureusement, à l’intérieur des étincelantes joutes verbales, filmées comme le cœur de l’action.

Alors, une mise en scène de passion dévorante ? La singularité de ce film provient pour beaucoup de la dureté qui s’en dégage, et c’est précisément là que le film semble rattrapé par l’histoire qui l’entoure. Bette Davis voulait à tout prix comme partenaire Laurence Olivier, et non pas Errol Flynn imposé par la production. De fait, les séquences entre les deux amants semblent heurtés par un manque d’engouement passionnel. Une distance irrémédiable les sépare, comme si la reine mettait un frein d’emblée et regardait ailleurs, expérimentant la difficulté de vivre son histoire dans l’instant. Si les mots laissent entrevoir des sentiments sincères, Bette Davis confère à son personnage une autorité aux antipodes de la séduction. Physiquement, l’actrice adopte même une forme de monstruosité, pour incarner ce personnage de trente ans plus âgé qu’elle : sourcils épilés, maquillage épais, son enlaidissement illustre la dureté même de la dualité qui la ronge. Une sécheresse qui lui fera dire que, de toutes façons, « personne ne meurt dans la joie »… Tragique, austère et fastueux, La Vie privée d’Elisabeth d’Angleterre se donne entièrement à son actrice principale. Et nous offre l’une des définitions du film classique : celui que l’on admire parce qu’il contient en lui-même de quoi alimenter sa propre légende.

La Vie privée d’Elisabeth d’Angleterre / De Michael Curtiz / Avec Bette Davis, Errol Flynn, Olivia de Havilland, Donald Crisp, Alan Hale / Etats-Unis / 1h46 / 1939.

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