
Après la relation turbulente mère-fille qu’elle mettait en scène dans l’excellent The Diary of a teenage girl, Marielle Heller s’attaque à une relation père-fils, pas des plus saines non plus.
Lloyd Vogel est un journaliste cynique et désabusé. La mort de sa mère et l’abandon de son père ont laissé en lui un sentiment de colère irrémédiable. Lorsqu’il est chargé d’écrire sur Fred Rogers, le fameux présentateur américain pour enfants, il ne peut que se montrer méfiant de l’homme au profil absolument angélique. Fred Rogers est l’image même de l’honnêteté, valeur que Lloyd contemple avec dédain. La confiance sans faille que ce premier place dans le monde qui l’entoure perturbe fondamentalement le second. Le journaliste met alors tout en œuvre pour que le présentateur lui dévoile ce qui se cache derrière cette facade imperturbable de gentillesse. Rapidement, il s’aperçoit qu’il n’y a en réalité aucun masque à faire tomber : Mr. Rogers représente véritablement toutes les valeurs que Lloyd méprise.
Marielle Heller met en scène cette confrontation violente de personnages non sans une certaine fantaisie. Elle nous propose notamment un jeu astucieux sur les différents formats : l’un propre à l’émission télévisée et l’autre, format classique cinématographique, faisant office de représentation du monde réel. Les deux viennent alors s’entremêler : les maquettes miniatures deviennent des paysages et la vie de Lloyd commence à prendre l’apparence d’une émission pour enfants. Le personnage de Lloyd est aisément comparable à celui d’un enfant. Il est à la recherche de quelque chose – de concret ou conceptuel, peu importe – mais quelque chose qui le rendra entier. Il se moque de la nature enfantine de Fred Rogers sans pouvoir lui-même s’accomplir en tant qu’adulte. C’est Matthew Rhys qui interprète parfaitement cet homme que la vie semble avoir épuisé, face à un Tom Hanks plus innocent que jamais.
L’Extraordinaire Mr. Rogers se démarque du roman d’apprentissage classique de par sa forme innovante et du film indépendant américain typique grâce à la subtilité de son récit. La réalisatrice nous rend les personnages amusants mais jamais pathétiques. Elle les fait évoluer délicatement : leur laissant des moments d’introspection nécessaires et les bousculant gentiment lorsqu’ils piétinent.
Contrairement aux héros masculins traditionnels et à Fred Rogers, Lloyd n’a rien d’extraordinaire. On peut d’ailleurs difficilement le qualifier de héros tant ses imperfections l’écrasent. Les objectifs qu’il essaye d’atteindre le rendent insignifiant et ses échecs répétés en viennent à le définir. Avec un ton décalé délicieux, Marielle Heller fait pourtant avancer ses personnages vers la réalisation, plus ou moins totale, que leurs défauts ne les rendent pas foncièrement indignes d’amour. En fin de compte, l’héroïsme n’est peut-être pas si important que ça.
L’Extraordinaire Mr. Rogers / De Marielle Heller / Avec Matthew Rhys, Tom Hanks, Chris Cooper, Susan Kelechi Watson / Etats-Unis / 1h49 / Sortie en le 22 avril en VOD.